Histoire de la flottille 16F


L'Aquilon 202 n°27 de la flottille 16F.
La flottille 16F exerça deux missions bien différentes et porta deux insignes de tradition distincts :
  • la première fut la 16F« Aquilon », créée à Hyères le 3 janvier 1955 et dont la mission fut la « chasse tous temps », avec le premier « jet » de l’aviation embarquée, le Sud-Est Aquilon,
  • la seconde étant la 16F « Etendard », dont la mission fut jusqu’au 28 juillet 2000 la reconnaissance.

1955-1964 : Chasse tout temps

La 16F première du nom fut en activité de 1955 à 1964, et bien que basée à Hyères, elle fut déployée sur des terrains d’Algérie, notamment Alger Maison-Blanche, pour des missions de défense aérienne diurne et nocturne.

L’avion qui équipait la flottille, le SNCASE Aquilon, avec les modèles Mk20, 202 et 203, était un dérivé du chasseur De Havilland Venom NF-2, avion à réaction de première génération. Néanmoins, son radar d’interception AN/APQ-65 (équipant le monoplace Aquilon 203 et le biplace Aquilon 204) était réputé pour son efficacité et sa fiabilité.
Bien que prévu comme intercepteur, l’Aquilon fut aussi employé en Algérie dans la mission d’appui-sol : les quatre canons de 20 mm et les quatre roquettes, qu’il pouvait emporter sous les ailes, lui fournissait des arguments solides pour ce rôle.


L'Aquilon 202 n°33 de la flottille 16F, armé de quatre roquettes HVAR, sur le tarmac de la BAN Hyères.

Démarrage raté pour l'Aquilon 203 n°68 de la flottille 16F à Hyères. On vide la tuyère de kérosène (1962)

Les détachements de la flottille à Alger s’achevèrent en 1959, mais la 16F fut à nouveau déployée en Afrique du Nord (Bizerte) en avril 1961. Entre temps, elle avait eu la primeur des appontages et catapultages de « jet » sur le Clemenceau, étant déclarée opérationnelle sur porte-avions en novembre 1960. Dépassé techniquement et usé prématurément, l’Aquilon est déclaré inapte à l’appontage en 1963, la flottille 16F s’en sépare et est placée en sommeil le 1er avril 1964, mais pour très peu de temps...

Premiers essais des Aquilon de la flottille 16F à bord du porte-avions Clemenceau (1960).

Les pilotes de la 16F (avril 1964).
1965-2000 : Reconnaissance photo

Son personnel fut placé en stage au sein du détachement CEPA (commission d'études pratiques pour l'aviation) Etendard sur la base d'Istres, dont le chef était le capitaine de corvette Klotz, futur commandant de la 16F. Son emblème, un aigle sur fond de ciel nocturne (directement inspiré du nom de l’avion et de la mission d’interception tous-temps) ne sera pas repris par la nouvelle 16F créée un mois plus tard à Istres, sur Etendard IVP.

Le 1er avril 1969, l'unité déménage vers la base aéronavale de Landivisiau où elle s'installe dans les locaux de la 15F (dissoute le 15 janvier 1969).

L’insigne de la 16F deuxième du nom est une grue (l’oiseau) tenant une pierre, symbole de vigilance, sur fond de film photo : la reconnaissance photographique sera en effet la mission principale de la flottille pendant 36 années, et ce avec le même avion, le Dassault Etendard IVP.

Bien que subsonique (sauf en piqué) lui aussi, le monoréacteur représentait un grand pas en avant en matière de reconnaissance embarquée : il était équipé de trois caméras dans le nez, et pouvait emporter un conteneur photo complémentaire sous le fuselage. Si l’on ajoute à cela sa capacité de ravitaillement en vol, on obtient un cocktail très réussi qui explique la longévité exceptionnelle de cet avion avec la 16F. A la différence de son cousin le Mirage IIIR de l’Armée de l’Air, l’Etendard IVP n’était pas doté de canon, toutefois, il pouvait emporter des paniers à roquettes sur les points d’emport extérieurs de la voilure.


Un Etendard IVP de la flottille 16F, nez en l'air, sur le pont d'envol du porte-avions Clemenceau (17 octobre 1974).

L'Etendard IVP n°166 sur la BAN de Landivisiau, un ancien Etendard IVM devenu « reco » à la la flottille 16F (juin 1982).

Plan d'armement de la 16F
Année En ligne     Année En ligne
1964-65
12 IVP 1991
4 IVP + 4 IVPM
1966 7 IVP 1992 1 IVP + 4 IVPM
1967 12 IVP 1993 5 IVPM + EP101
1968 6 IVP + 4 IVM 1994 7 IVPM + EP101
1969 10 IVP 1995 6 IVPM + EP101
1969-77 8 IVP 1996 7 IVPM + EP101
1978 6 IVP + 2 IVM 1997 5 IVPM
1979 7 IVP 1998 4 IVPM
1981-89 8 IVP 1999 4 IVPM
1990 5 IVP + 3 IVPM 2000 4 IVPM

A Landivisiau, les Etendard de la 16F et les Crusader de la 12F (1982).
Seule flottille de reconnaissance embarquée de l’aéronautique navale, la 16F fut de toutes les campagnes, depuis les déploiements en Mer Rouge du milieu des années soixante-dix (opérations Saphir), jusqu’à la campagne Trident de 1998-1999, au dessus de l’ex-Yougoslavie, en passant par les crises au Liban (missions Olifant) ou dans le golfe Persique.

Dès qu’un groupe aéronaval prenait la mer, on pouvait compter trois à quatre Etendard de la 16F à bord du porte-avions, avec le personnel correspondant (60-70 personnes), ce qui impliquait un rythme opérationnel particulier pour la flotttille. Les autres missions opérationnelles de l’aviation embarquée étant assurées par au moins une paire de flottilles à cette époque: 12F et 14F pour l’interception, 11F, 15F, 17F pour l’assaut, 4F, 6F et 9F pour la surveillance et l’attaque anti-navires.

La flottille 16F intégra dans son parc la totalité des 21 Etendard IVP fabriqués, et fut même dotée de quelques Etendard IVM lorsqu’en octobre 1967, elle mit quatre de ses avions de reconnaissance à la disposition de la 17F, qui partait avec le Clemenceau dans le Pacifique, pour les campagnes d’expérimentations nucléaires.


Un Etendard IVPM au décollage sur la BAN Cuers. Le IVPM était une version Modernisé ("M") du IVP (octobre 1992).

Le n°107 après 1253 appontages, les IVP de la 16F arrivent au terme d'une vie opérationnelle mouvementée, Landivisiau (1999).


L'Etendard IVP n°118 de la flottille 16F au catapultage depuis le porte-avions Foch (24 décembre 1993).
Un des quatre IVP (le 121) fut d’ailleurs perdu en océan Indien le 21 avril 1967, le pilote parvenant à s’éjecter sain et sauf. Les IVM quittèrent la flottille en janvier 1969. Un prêt du même genre avait déjà eu lieu de mars à octobre 1966, mais c’était au bénéfice de la 15F, embarquée sur le Foch. L’avion 116 avait été perdu le 7 juin 1966, entraînant la mort de son pilote, le lieutenant de vaisseau Giraud.

Parmi les endroits chauds de la planète où intervint la 16F, il y eut (déjà) la corne de l'Afrique, avec les missions « Saphir » :

  • « Saphir 1 » voit la participation de 3 Etendard IVP au sein d'un groupe embarqué comprenant 7 flottilles et une escadrille, à bord du Clemenceau, d'octobre 1974 à mars 1975. C'est alors la destitution du négus qui entraîne un risque d'instabilité pour la région.
  • « Saphir 2 », d'avril à juin 1977, a pour cadre la déclaration d'indépendance de Djibouti et la guerre de l'Ogaden entre l'Ethiopie et la Somalie. Le 11 juin on déplore la perte d'un pilote (LV Frachon) et de son avion (le 106) lors d'un vol d'entraînement.

Avant une mission en Bosnie, le capitaine de corvette Benoît Silve, commandant la flottille 16F en briefing avec le ministre de la défense, M. François Léotard, et le VA Witrand.
Avec l’attrition du parc IVP, la flottille utilisa aussi quatre Etendard IVM reconfigurés en « reco » entre 1977 et 1979, par les ateliers de Cuers : il s’agit des avions 53, 62, 63 et 66.

Enfin, le parc fut modernisé entre 1989 et 1994, huit Etendard « reco » devenant des IVPM, recevant notamment des nouveaux équipements d’auto-protection et de navigation (les 107, 114, 115, 118, 120, 153, 162 et 163).

A partir de 1982, c'est le Liban qui nécessite l'intervention de moyens aéronavals et en premier lieu des IVP de la 16F, ce sont les missions Olifant qui s'étalent de septembre 1982 à mai 1984.

Dès le 7 septembre 1983, les Etendard documentent les zones de contact entre les troupes françaises et des milices. Le 23, l'avion n°162, piloté par le CC de Fautereau-Vassel, est atteint au niveau du croupion par un missile SA-7. L'avion rejoint le Foch.

Le 17 novembre, des Super Etendard bombardent des camps de miliciens après l'attentat du Drakkar (23 octobre, 58 morts). Là aussi, les photos accumulées par la 16F permettent de mener à bien une mission difficile.

1993-1999 : Guerre en ex-Yougoslavie

La 16F fut aussi à même de participer à la « gestion des crises » des années quatre-vingt-dix. Ce fut notamment lors de la désintégration de la Yougoslavie (1993 à 1999) que la flottille rendit les précieux services que l’on attendait d’elle lors de ces opérations menées sous mandat des Nations-Unies.

Ce sont deux missions quotidiennes qui étaient effectuées par la 16F, par exemple pendant les opérations « Balbuzard » et « Deny Flight » au-dessus de la Bosnie.


Un Etendard IVP de la flottille 16F survole une batterie sol-sol lors du siège de Sarajevo (1994 - Photo LV Malherbes).
Une mission typique comprenait l’envol de deux Etendard IVPM et d’un Super Etendard « nounou » équipé de la nacelle de ravitaillement, puis la partie active de la mission, souvent en basse altitude avec une navigation extrêmement pointue comprenant le survol d’une quinzaine d’objectifs en moyenne. L’équipement de reconnaissance comprend alors jusqu’à six chassis grand format, avec des focales fixes équivalentes à 150-200 mm, voire même 600 mm pour la haute altitude …

Sans oublier les yeux et le cerveau du pilote de reconnaissance, défini comme un « chasseur intelligent » par certains esprits sans doute un peu partiaux ! Outre pendant la minutieuse préparation du vol, et son exécution très précise, le jugement du pilote intervient également durant l’exploitation des clichés, aux côtés des officiers de renseignements et des interprétateurs photo. Une sacré besogne…


L''Etendard IVP du CC Clary, fortement endommagé par un missile sol-air au dessus de la Bosnie (1994).
En 1994, deux évènements vont illustrer la valeur du travail de la flottille, et le sang froid des pilotes engagés dans des missions périlleuses au dessus de la Bosnie-Herzégovine :

Le 15 avril 1994, le capitaine de corvette Clary, second de la 16F, à bord de l'Etendard IVP n°115, conduit à la tête d'une section de reconnaissance sa 55ème mission au dessus de la Bosnie. Après un survol, de Sarajevo, il reconnaît un objectif dans la région de Gorazdé. Il est 15h25, et l'Etendard est à 1500 mètres d'altitude et à la vitesse de 500 nœuds. Soudain, un choc violent ! Son équipier, l'aspirant Cloarec, perçoit quatre trainées correspondant à un tir multiple de missiles sol-air. Après une montée à 4 000 mètres et l’affichage d’un cap retour vers le Clemenceau, l’équipier et le pilote constatent les dégâts : ni incendie, ni fuite, l’avion reste pilotable « à la marge », malgré un arrachement des 2/5ème de la gouverne de profondeur et des dommages très graves à la dérive et au fuselage.
Le pilote applique le premier principe « puisque ça vole comme ça, on touche à rien ». Mais il fallait apponter, et pas question de sortir les volets car l’empennage droit était très abîmé, ainsi que la gouverne de direction ; heureusement, le train et la crosse d’appontage sortirent bien, donc l’avion se présenta en finale à la vitesse de 160 nœuds (30 de plus que la normale). Le Clemenceau filait à près de 35 nœuds et il y avait 12 nœuds de vent météo : l’avion accrocha un brin et s’immobilisa à 16h28 … heureusement car le « wave-off » était exclu. L’histoire ne raconte pas si les clichés furent de bonne qualité, ni combien de litres de sueur le pilote perdit ce jour-là, mais pilotes, avions, flottille et porte-avions ont continué leur mission imperturbablement.


L'Etendard du LV Demeneix sur l'aérodrome de Gioia del Colle. (1994).
Le 17 décembre 1994, le lieutenant de vaisseau Demeneix conduit une mission de reconnaissance sa 15ème mission au dessus de la Bosnie-Herzégovine. Alors qu'il reconnaît un objectif dans la région de Donji-Vakuf, il ressent un choc violent, son appareil vient d'être atteint par un missile sol-air à guidage infra-rouge. Appliquant avec un remarquable sang-froid une procédure complexe et réfléchie, il parvient à regagner les lignes amies, et pose son aéronef sans volets sur le terrain italien de Gioia del Colle.

Avec le désarmement du Clemenceau en 1997, le parc de la flottille décrut sensiblement pour s’établir à entre quatre à cinq avions dans la période 1997 à 2000.

Ainsi, en 1999 les Etendard IV-PM 107-109-115-118 étaient opérationnels à Landivisiau, le 107 arborant une peinture commémorant son 1253e et ultime appontage, rien que ça !

Le 28 juillet 2000, la 16F tirait sa révérence, les Etendard IVP rejoignant sur le banc de touche les Alizé, retirés du service le 25 juin, et les Crusader, absents des cieux depuis décembre 1999.

Sans excès de nostalgie, un certain âge d’or de l’aviation embarquée s’achevait ce jour-là, époque qui avait vu jusqu’à trois porte-avions en ligne, et huit flottilles de combat opérationnelles. Sans Etendard et sans 16F, la « reco façon Marine » continue avec les Super-Etendard Modernisés équipés d’un chassis ventral ; et la grue n’a pas lâché sa pierre, puisque l’insigne de tradition de la 16F est repris en 2008 par le Centre d’Entraînement, d’Instruction et de Préparation des Missions (CEIPM).

Etendard IVPM à bord du porte-avions Foch (1999).

Alexandre Gannier pour Net-Marine © 2010. Remerciements : capitaine de vaisseau Benoît Silve. Copie et usage : cf. droits d'utilisation. Sources : Airfan n° 190 09/1994, n°264 11/2000, La Saga Etendard Tome 2. J.-M. Gall, Editions Lela Presse ; décision n°283/16F/94/NP du 18/12/1994, n°151 16F/94/NP du 28/04/1994.


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