"Les Atolls de l'atome" par Bernard Dumortier, Marines Editions 2004.
 
La Marine à Mururoa

Page réalisée par Guillaume Rueda () d'après "Les Atolls de l'atome" par Bernard Dumortier, Marines Editions 2004.

L'installation (1964-1966)

C'est à la Marine qu'échoit,entre 1964 et 1966, la conduite des missions logistiques et d'intendance indispensables à la construction des sites du polygone de tirs. Durant les premières années d'installation et d'activité du CEP plus de cent navires (petits et gros tonnages) monteront à l'assaut des atolls, débarquant sans relâche leurs cargaisons de matériels. faisant la navette entre la Métropole, des rotations entre les îles.

C'est un effort sans précédent qui sera demandé à la Marine et aux marins et la France y mettra les moyens. Les nombreux bâtiments qu'elle mettra en oeuvre assureront également le soutien et la conduite des opérations aéronavales. à chaque campagne de tirs.

Mais avant le déploiement des premières unités de transport et de débarquement, des navires hydrographes avaient été dépêchés sur les lieux pour sonder et baliser les lagons de Mururoa et de Hao, depuis leur passe respective jusqu'aux différents points de débarquement. Le premier de ces bâtiments était, à l'origine. un navire stationnaire : l'aviso-colonial F730 Francis Garnier (l'ancien aviso-colonial italien Eritrea) avait déjà accompli une campagne hydrographique aux Tuamotu australes et aux Gambier deux ans avant la création du CEP. Puis, dès 1964, il servit de bâtiment-base à Mururoa avant de connaître une triste fin. Par ailleurs, l'aviso-drageur F 745 La Capricieuse et le chasseur de mines M728 La Bayonnaise se virent confier des missions hydrographiques et géodésiques sur les futurs sites.

Les autres bâtiments hydrographes affectés au CEP furent La Pérouse A 750 (ex-Sans Peur), achetée en 1962 et transformée en bâtiment de 2ème classe et La Coquille A 678 (ex-Atlantic Dolphin). ancien chalutier anglais de 447 tonnes, transformé en 1965 en bâtiment hydrographique de 2ème classe pour effectuer la surveillance radiologique et l'étude biologique de la faune sous-marine.

Une vedette hydrographique de 22 tonnes. A785 Zélée (ex-Coralline) fut aussi impliquée dans ces recherches hydrographiques. En novembre 1968, la Boussole, nouveau navire hydrographe A781, vint entreprendre des travaux hydrographiques et hydrologiques aux Gambiers.

La logistique fut assurée par les bâtiments de débarquement et de ravitaillement de tous types et de tous gabarits chargés d'amener les matériels lourds, les péniches de débarquements et la batellerie :

  • Le transport L9020 Foudre (ex-Okeanas ex-LSD 12 Dagger) de 7 930 tonnes (pleine charge) arrivé à Tahiti le 5 décembre 1963, débarqua une batellerie de premiers LCM et EDIC ainsi que des matériels roulants et engins de terrassement.
  • Les BDC (bâtiments de débarquement de chars de 3 800 à 4 000 tonnes) L9003 Argens et L9006 Cheliff suivis des L9007 Trieux (aménagé porte-hélicoptère) L9008 Dives et L9009 Blavet (porte-hélicoptère) effectuaient la rotation entre Tahiti, Mururoa, Fangataufa et Hao.
  • Deux autres transports de chalands de débarquement et porte-hélicoptères de 8500 tonnes. L9021 Ouragan et L9022 Orage (le second sera construit spécialement pour les besoins du CEP) seront mis en service respectivement en 1965 et 1968. Comme la Foudre, leur radier permet d'embarquer et débarquer à flot EDIC, CTM ou LCM.
  • Trois gabares de type américain ont été achetées en 1966 pour assumer les missions de transport et de manutention : A729 Tarentule (ex-AN32 Pepperwood). A765 Locuste (ex-AN22 Locust) et A728 Scorpion (ex-AN37 Yew) de 850 tonnes ainsi qu'un vieux remorqueur de haute mer A660 Hippopotame (qui participa en 1944 à la préparation du débarquement des Alliés en Normandie!). La première gabare fut coulée par les avisos-escorteurs en mai 1972.
  • Trois bâtiments de soutien logistique de 2445 tonnes, A617 Garonne, navire-atelier de mécanique et charpentage (mis en service en 1964). A621 Rhin, navire-atelier spécialisé en version "électronique" (mis en service en 1964) et A771 Tarn (ex-Ergeval ex-Maria Loetifia ex-Colomb-Béchar) de 5700 tonnes, acheté en 1965 et transformé en cargo-magasin. Un quatrième bâtiment de soutien logistique spécialisé dans la sécurité radiologique A618 Rance (de 2700 tonnes) fut mis en service en 1966. Il était doté de laboratoires et d'installations de décontamination radioactive. Il embarquait trois hélicoptères type Alouette II et Alouette III.
  • Trois transports ravitailleurs de 2700 tonnes achetés entre 1964 et 1966 : A643 Aunis (ex-Regina Pacis), A644 Berry (ex-Médoc) et A645 Anjou (ex-Léoville) et deux ravitailleurs de région (citernes à combustible de 1450 tonnes) A638 Sahel et A635 Rummel.
  • Parmi les nombreux types de bâtiments de transport (de 1350 tonnes) A740 Hanap ex-Stjordels Fjord (citerne à vin) A741 Giboulée et A750 Liamone ex-Arrosoir (citernes à eau), un caboteur de 990 tonnes (achetés en 1965) A735 Guyenne (ex-Douce France) et un autre caboteur A733 Saintonge (ex-Santa Maria).
  • Les transports de carburant de tous types ont été nombreux. Trois pétroliers océaniques (de 6000 à 10000 tonnes) A626 La Charente (ex-Beaufort) et A675 Isère (ex-Caltex Strasbourg) et A634 Verdon (ex-Josta) ont été achetés en 1964. Trois pétroliers (de type américain) de 2700 tonnes. A629 Lac Chambon (ex-Anticline) A630 Lac Tchad (ex-Syncline) et A631 Lac Tonlé Sap (ex-Pumper) arrivèrent ensemble au CEP à la fin du mois de mai 1965.
  • Deux autres pétroliers de 3000 tonnes A625 Papenoo (ex-Bow Queen) et A632 Punaruu (ex-Bow Cecil). achetés à la Norvège en 1969 assurèrent (respectivement jusqu'en 1992 et 1994) le ravitaillement des sites.
  • Trois bâtiments-ateliers annexes (construits entre 1964 et 1965) assuraient les nombreuses maintenances ; L9081, L9082 et L9083. Deux autres unités spécialisées; un bâtiment-atelier annexe, L9084 (transformé en atelier électronique) et un navire-atelier annexe, L9099 (ancien LCT Landing Craft Tank) transformé en 1964.
  • Quatre autres LCT porte-chars L9063 ex-Alkyon (grec). L9064 ex-Salavador (anglais) et L9098 ex-1274 (anglais) furent achetés. Quatre engins de débarquement pour infanterie et chars (EDIC ex LCT) de 670 tonnes, les L9091, L9092, L9093 et L9095 vinrent en renfort.
  • Quatorze chalands de transport de matériel (CTM) de 150 tonnes, achetés entre 1966 et 1967 et trois CTM (construits en 1965 par les Constructions Mécaniques de Normandie) de 90 tonnes, avec porte d'étrave, complétèrent le dispositif de débarquement. L'Oiseau des Îles II, un petit caboteur (dépourvu d'immatriculation marine) assurait des liaisons interinsulaires. Cinq anciens paquebots mixtes des Chargeurs Réunis qui assuraient les lignes d'Afrique, ont été achetés et transformés en bâtiments-bases par la Marine pour héberger les personnels militaires et civils travaillant sur les sites:
  • Le Maine (ex-El Mansour) de 6000 tonnes, le Médoc (ex-Sidi Ferruch) et le Morvan (ex-Sidi Mabrouk) de 5300 tonnes, la Maurienne (ex- Brazza) et la Moselle (ex-Foucauld) de 8700 tonnes armés respectivement en 1966 et en 1965. Bon nombre de ces navires amphibies ateliers et de transport resteront affectés plusieurs années encore au CEP. D'autres, atteints par la limite d'âge, seront coulés sur place ou dans les parages des atolls.

Sans énumérer les petits navires de servitude et sans prendre en compte les bâtiments de combat de la Force Alfa, c'est plus de cent navires qui ont débarqué et ravitaillé les deux atolls au temps de l'installation des sites et des campagnes aériennes qui s'y sont déroulées. D'autres bâtiments de combat ont pris part aux opérations en surveillant en permanence la zone d'exclusion maritime, notamment lors des campagnes de tirs. Ce fut le cas des patrouilleurs (anciens dragueurs-côtiers) et des avisos-escorteurs.

Les bâtiments du débarquement (1964)


  • La Moselle servit de bâtiment base à partir de 1965
    Aviso colonial : F 730 Francis Garnier ex-Eritrea (bâtiment-base jusqu'en 1966).
  • Escorteur : A 745 La Capricieuse, escorteur de 640 t construit en 1939.
  • Bâtiments hydrographes : A 753 La Pérouse ex-Sans-Peur, bâtiment hydrographique de 2ème classe (mission hydrographique en 1962, mis en réserve spéciale en 1967), A 678 La Coquille ex-Atlantic Delphin 447 t (ancien chalutier anglais transformé en 1965 pour la surveillance radiologique et l'étude biologique de la faune sous-marine).
  • Bâtiment hydrographique de 2ème classe : A785 Zélée ex-Coralline (22 t) vedette hydrographique de Polynésie.
  • Transport de Chalands de Débarquement : L9020 Foudre (anciennement A646) ex-Okeanos ex- LSD12 Dagger, L9021 Ouragan, L9022 Orage
  • Batiment de Soutien Santé : A618 Rance (en service en 1966).
  • Bâtiments de Soutien Logistique : A621 Rhin (spécialisé en électronique), A617 Garonne (spécialisé navire-atelier), A771 Tarn ex-Orgeval ex-Colomb-Béchar ex-Maria-Laetitia cargo-magasin (acheté en 1965).
  • Bâtiments-bases (anciens paquebots des Chargeurs Réunis), plate-forme Alouette III (sauf Moselle), BB A611 Maine ex-El Mansour (6000 t), BB A612 Medoc ex-Sidi Ferruch (5300 t), BB A613 Morvan ex-Sidi Mabrouk (5300 t), BB A637 Maurienne ex-Savorgnan de Brazza (8700 t) armé en 1966, BB A608 Moselle ex-Foucauld (8700 t) armé en 1967
  • Pétroliers océaniques : A626 La Charente ex-Beaufort 26000 t acheté en mai 1964, A634 Verdon ex-Josta, A675 Isère ex-Caltex Strasbourg (acheté en 1965).
  • Pétroliers type américain (2700 t) achetés en 1945 : A629 Lac Chambon ex-Anticline, A630 Lac Tchad ex-Syncline, A631 Lac Tonlé Sap ex-Pumper.
  • Pétroliers : A625 Papenoo ex-Bow Queen - A632 Punaruu ex-Bow Cecil.
  • Transports ravitailleurs : A643 Aunis ex-Regina Pacis (cargo Scotto) acheté en 1966, A644 Berry ex-Médoc (cargo Worms) acheté en 1964, A645 Anjou ex-Léoville (cargo Worms) acheté en 1965.
  • Transports (1350 t) : A740 Hanap ex-Stjordels Fjord (citerne à vin), A741 Giboulée (citerne à eau), A750 Liamone ex-Arrosoir (citerne à eau).
  • Ravitailleurs de région (citernes à combustible) 1 450 t : A638 Sahel, A635 Rummel.
  • Petits transports : A733 Saintonge ex-Santa Maria (caboteur), A735 Guyenne ex-Douce France (transport d'eau - 990 t), acheté en 1965, Oiseau des Îles II.
  • Dragueurs côtiers (classés patrouilleurs stationnaires en 1974) : M729 P657 La Paimpolaise ex-Thunder, M731 P652 La Lorientaise ex-Miramichi, M728 P654 La Bayonnaise ex-Chignecto.
  • Patrouilleur : P730 La Combattante (en service en 1964).
  • Bâtiments-ateliers annexes (construits entre 1964 et 1965) : L9081, L9082, L9083
  • Bâtiments-ateliers magasins électroniques : L9084 (admis en février 1966), L9099 (ancien LCT transformé en 1964 en navire-atelier annexe).
  • Bâtiments de Débarquement de Chars : L9003 Argens, L9006 Cheliff, L9007 Trieux (aménagé en porte-hélicoptères), L9008 Dives, L9009 Blavet (aménagé en porte-hélicoptères).
  • Engins de Débarquement pour Infanterie et Chars 4 EDIC (ex-LCT Landing Craft Tank) 670 t : L9091, L9092, L9093, L9095.
  • LCT Landing Craft Tank (porte-chars anglais) : L9063 ex-Alkyon (grec), L9064 ex-Salvador (anglais), L9098 ex-1274 (anglais).
  • EDIC : L9070, L9071, L9072, L9073 (en service en 1968), L9074 (en service en 1969).
  • 14 CTM (Chalands de Transport de Matériel) achetés en 1966 et 1967 (150t) 3 CMT (construits en 1965 par les Constructions Mécaniques de Normandie), 90 t avec porte d'étrave.
  • Gabares de mer : A731 Tianée ex-Varo (905 t, lancée en 1973, en service en 1975).
  • Gabares (850 t) construites en 1941, achetées en 1966 : A728 Scorpion ex-AN-32 Yew, A765 Locuste ex-AN-22 Locust, A729 Tarentule ex-AN-36 Pepperwood.
  • Remorqueur de haute mer : A660 Hippopotame (640 t).
  • Remorqueur côtier : A706 Courageux (200 t).
  • Bâtiment de Soutien de Région : A779 Tapatai

La force Alfa (1965-1968)

Les opérations de veille météorologique, de surveillance du polygone ainsi que les prises de situations logistiques et opérationnelles ont nécessité l'emploi d'importants moyens aéromaritimes. Pour évoluer sur ce vaste espace maritime et dans le volume aérien engendré par la zone dangereuse, la Marine nationale mit sur pied une véritable armada en créant le Groupe Aéronaval du Pacifique, le 20 août 1965 (arrêté ministériel n° 51). Constitué du porte-avions Foch, des bâtiments de la 6ème Division d'escorteurs d'escadre Forbin, La Bourdonnais et Jauréguiberry du pétrolier ravitailleur d'escadre La Seine, du BSL Rhin et du pétrolier Aberwrach, le Groupe Alfa (baptisé Force Alfa) sera placé sous le commandement du contre-amiral Storelli (décret du 3 septembre 1965). Cette force autonome de plus de 3500 hommes, fut spécialement créée pour les besoins opérationnels de cette première campagne d'essais.

La Force Alfa appareilla le 23 mars 1966 de Toulon. Elle toucha Tahiti le 22 mai après avoir fait escale à Diego-Suarez et Nouméa. Le groupe aérien embarqué comprenait 24 avions et 22 hélicoptères. Il était composé de trois flottilles :

L'escadrille 23S, composée de six hélicoptères Alouette II et six Alouette III, constitua avec la 31F le Groupe Occasionnel d'Hélicoptères du Pacifique pour les besoins des campagnes. Le 7 juin au large de Tahiti, alors que le porte-avions avait invité quelque deux cents personnes à son bord, un Etendard s'abîma en mer entraînant la disparition du pilote, l'officier en second de la flottille 15F. La Force Alfa se retrouva au large de Mururoa trois jours plus tard, le premier tir étant programmé pour le début du mois de juillet. Le dispositif "Phoebus" fut mis en place pour surveiller et sécuriser la zone dite "dangereuse".

Des marines étrangères se sont intéressées de près aux premiers essais atomiques français. Ce fut le cas de l'US Navy dont des bâtiments observèrent ouvertement nos activités, les Soviétiques restant plus discrets. Le 12 juin, la marine française repérait un bâtiment de l'US Navy croisant dans la zone. Il s'agissait de l'USS Belmont un bâtiment de recherches scientifiques. Deux semaines plus tard, les marins français reconnaissaient un autre bâtiment américain le Richfield navire de contrôle de missiles et d'engins spatiaux. Un sous-marin fut même furtivement repéré dans la zone d'exclusion sans que l'on puisse l'identifier comme étant soviétique ou américain. Le 1er juillet. la veille du premier tir atomique Aldébaran, c'est un ravitailleur d'observation KC-135 de l'US Air Force (n° 9164) qui fut repéré.

Le Forbin, placé chef du "Groupe Prélèvements" était chargé de coordonner les opérations de récupérations des échantillons des produits radioactifs de chaque essais. Ce groupe constitué d'avions, d'hélicoptères, de bâtiments de combat et de navires auxiliaires, était paré à entrer en action dès l'explosion pour repérer et récupérer les têtes des missiles tirés par les Vautour.

Le deuxième essai fut programmé le 13 juillet. Il s'agissait du premier largage d'une bombe atomique française par un avion nom de code "Tamouré". La veille du tir le KC-135 américain fut à nouveau repéré. L'opération Tamouré sera reportée à quatre reprises pour des raisons météorologiques. Le mardi 19 juillet à 5h05, le bombardier Mirage IV larguait sa bombe au large de Mururoa. Le KC-135 de l'USAF et le Richfield de l'USN furent aperçus une heure après le tir.

La seconde demi-campagne devait débuter le 7 septembre pour la préparation du premier tir sous ballon (tir Bételgeuse) prévu le 10 en présence du général De Gaulle. A "J-2" les Etats-Unis annoncèrent le lancement d'une capsule spatiale et sollicitèrent le concours de la marine française pour un repêchage dans le Pacifique.Le vendredi 9, alors que la Marine repérait le Richfield, le GOEN reporta le tir au dimanche 11. Le tir Bételgeuse, déclenché par le chef de l'État à partir du De Grasse eut lieu à 7h30, libérant moins de 200 kt. Deux autres tirs eurent lieu le 24 septembre et le 4 octobre après plusieurs reports avant de clore cette première campagne d'essais dans le Pacifique Sud.

Le groupe aéronaval quitta la Polynésie le 2 novembre. Mais avant de regagner la Métropole via le Cap Horn, les bâtiments et les avions de combat de la Force Alfa reçurent la mission de couler le Francis Garnier, condamné le 5 octobre par l'Amirauté. Le vieil aviso-colonial (qui reçut le numéro de coque Q 416) succomba sous les bombes et les obus le 29 octobre 1966 à 16h15 et repose par 1300 mètres de fond. L'année suivante, le gouvernement programma une campagne d'expérimentations d'un mois, au cours de laquelle trois essais seulement - de faible et moyenne puissances - furent effectués. Cette courte campagne ne justifiera pas l'emploi de la Force Alfa. La campagne de 1968 en sera tout autrement puisque la France allait procéder à ses premières expérimentations thermonucléaires pour la mise au point de la bombe H.

La seconde Force Alfa quitta Toulon le 12 mars pour arriver en Polynèsie le 16 mai. C'est le porte-avions Clemenceau commandé par le capitaine de vaisseau Sanguinetti qui portait la marque de l'ALGROUPA. Le groupe était composé des trois bâtiments de la 6ème DEE. Quant au groupe aérien. il était composé cette année des aéronefs appartenant aux flottilles 9F (Alizé), 17F (Etendard IV-M. et 31F (hélicoptères Sikorsky) et de l'escadrille 22S (Alouette II et III). Les 4 hélicoptères lourds Super-Frelon embarqués seront détachés à terre et basés à Hao au sein de l'escadrille 27S créée spécialement pour le soutien CEP le 1er décembre 1967.

Le 24 août 1968 le premier essai thermonucléaire français exécuté à Fangataufa libéra une énergie de 2.6 mégatonnes. Plusieurs bâtiments américains et quelques chalutiers soviétiques furent aperçus lors de cette campagne exceptionnelle.

Avec la venue de la Force Alfa, l'ensemble du dispositif naval présent autour des deux atolls a représenté plus de 40 % du tonnage de la flotte française! Une quarantaine de bâtiments déplaçant globalement plus de 120000 tonnes.

Les moyens logistiques et les forces opérationnelles

Le croiseur De Grasse

Le croiseur anti-aérien C610 De Grasse, en service depuis 1956, était en 1964 l'un des plus importants bâtiments de combat de la Marine. Il connut une seconde vie grâce aux campagnes d'essais atomiques menées dans le Pacifique. Sa construction, commencée en 1938, avait été interrompue durant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1964 et 1966, il fut transformé en bâtiment de commandement au profit du CEP pour abriter le Groupement Opérationnel des Expérimentations Nucléaires.

Mais avant sa refonte, le croiseur avait accompli en 1962 une longue croisière de sept mois qui le mena jusqu'aux archipels polynésiens des Marquises, des Gambier et des Australes. Signe révélateur ou hasard des missions, le futur bâtiment de commandement des expérimentations atomiques rejoignait en mai 1962 à Mangareva l'aviso Francis Garnier, futur bâtiment-base du CEP qui était en campagne d'exploration dans la région.


Le croiseur C610 De Grasse intégré à la Force Alfa.

Déplaçant 12 350 tonnes, le De Grasse mesurait près de 200 mètres (188,03 mètres hors tout) sur 21,50 mètres de large, son tirant d'eau étant de 6,30 mètres. Les travaux d'aménagement effectués à l'arsenal de Brest avait permis de doubler le volume du bloc-passerelle. L'armement fut considérablement réduit. Ainsi, quatre tourelles de 127 mm (sur les seize initialement installées) et les vingt affûts de 57 mm ont été débarqués. L'équipage fut réduit de plus de deux cents hommes et les aménagements intérieurs furent modernisés. En outre, 120 logements furent réalisés pour accueillir, l'état-major du GOEN, les ingénieurs et les techniciens.

C'est à bord du De Grasse que le général De Gaulle tourna la clef qui ordonna le tir Bételgeuse le 11 septembre 1966. De toute l'histoire des essais atomiques français, le Général De Gaulle sera le seul président de la République à assister à une expérimentation nucléaire. Le bâtiment de commandement ne disposait plus d'aucun hublot et son bloc-passerelle fut renforcé en citadelle NBC (nucléaire-bactériologique-chimique).

La plus remarquable caractéristique du nouveau croiseur était son mât quadripode de plus de 50 mètres de hauteur, installé sur le roof arrière et qui était destiné aux transmissions télécommandées des tirs avec le PCT à terre. Le De Grasse aura participé à six campagnes d'essais atmosphériques avant de rejoindre Brest le 9 décembre 1972 pour être placé en réserve spéciale B. Il sera désarmé le 25 janvier 1974.

La division des avisos-escorteurs

L'Instruction n°966 EMM n°3 du 29 septembre 1967 émanant du chef d'état-major de la Marine évoque la création d'une division constituée d'avisos-escorteurs pour participer aux opérations navales lors des essais atmosphériques. L'ordre 294 EMM n° 3 du 2 avril 1968 concrétise cette instruction en créant la division des avisos-escorteurs du Pacifique (DAPACI).

Lors de la campagne du 18 mai au 1er octobre 1968. cette division fut placée sous l'autorité de l'amiral commandant le groupe aéronaval (ALGROUPA) ou bien, selon les phases de la campagne de tirs, sous les ordres de l'amiral commandant le Groupement opérationnel des expérimentations nucléaires (ALGOEN). La DAPACI comprenait les avisos-escorteurs Commandant Rivière, Protet, Amiral Charner, Doudart de Lagrée et Enseigne de vaisseau Henry. Il n'y aura pas de campagne de tirs en 1969 pour des raisons politiques et budgétaires. Les avisos-escorteurs partiront en mission sur le grand Océan, chacun de son côté.

En 1970, du mois de mai au mois d'août, les trois avisos-escorteurs Commandant Rivière, Protet et Charner auront parcouru quelque 55 000 milles en 170 jours de mer pour effectuer plus de cinq cents sondages météorologiques. Le 1er janvier 1970, l'amiral qui commande le CEP cumule les fonctions de commandant des forces de souveraineté en Polynésie française et de commandant de la DAPACI.

Le 5 avril 1971. la division des AE devint la DIVAVPACI qui se réduira de façon quasi permanente à trois bâtiments. La campagne 1971 réunira les avisos-escorteurs Doudart de Lagrée, Commandant Rivière et Amiral Charner. Chacun accomplira plus de 17 000 milles en 60 jours de mer. Les deux AE largueront au total plus de 400 ballons sondes. A la fin de cette campagne les trois AE coulent un vieil EDIC.

En 1972, le Charner, le Doudart et le Henry sondent plus de cent fois chacun en 60 jours de mer. Lors de cette campagne une flottille de bateaux contestataires de Greenpeace viendra perturber les opérations navales lors des tirs. Le Henry fut chargé de pister et marquer le premier voilier des antinucléaires.

En 1973, la DIVAVPACI accueillera deux autres avisos-escorteurs Commandant Rivière et Victor Schoelcher qui vinrent en renfort, en prévision d'une nouvelle campagne antinucléaire. Cinq cents ballons sondes seront lancés en 200 jours de mer et 60 000 milles nautiques parcourus! C'est le Doudart qui arraisonnera le voilier Fri et poursuivra le Spirit of Peace. Le Charner, pour sa part, pistait l'Arakiwa. La campagne de 1974, sera la dernière campagne d'expérimentations aériennes et la plus longue jamais organisée. De mai à septembre, les avisos-escorteurs EV Henry, Protet, Commandant Bourdais, le Commandant Rivière et le Doudart de Lagrée auront parcouru 85 000 milles en 300 jours de mer pour effectuer leurs relevés météo et leur mission de surveillance de la zone dangereuse.

Le 5 juin 1975, le CEP procéda à son premier tir souterrain à Fangataufa. Les avisos-escorteurs seront toujours autant sollicités pour assurer la surveillance de la zone maritime autour des sites. Le second tir de cette première campagne souterraine aura lieu le 26 novembre, toujours à Fangataufa. La division des avisos-escorteurs sera dissoute l'année suivante avant que ne débute la campagne d'expérimentations. Les trois avisos-escorteurs qui resteront en Polynésie dépendront désormais du commandement des forces maritimes du Pacifique.

L'aéronautique navale

L'action de l'aéronavale ne s'est pas limitée à une simple participation logistique. Elle a été primordiale tout au long des campagnes d'expérimentations aériennes avec la mise en oeuvre de nombreux aéronefs, avions de patrouille maritime, avions de guet aérien, hélicoptères et avions de combat. Cette participation opérationnelle connut un summum avec la venue du Groupe Alfa, constitué autour d'un porte-avions. Jusqu'en 1963 (deux ans après la construction de l'aérodrome international de Faa'a), l'aviation civile utilisait encore les gros hydravions Bermuda du Réseau Aérien Interinsulaire pour transporter les passagers de Tahiti à Bora-Bora, où des Super-Constellation des TAI (transports Aériens Intercontinentaux) assuraient le trajet jusqu'à Paris après des jours de vol et de nombreuses escales...

En premier lieu, c'est l'aéronautique navale qui joua un rôle important dans les premières années du CEP. Et bien avant, même, l'installation de celui-ci ! Dès 1962, des quadrimoteurs Avro Lancaster appartenant à l'escadrille 9S de Nouvelle-Calédonie (basée à Tontouta), assurèrent à partir de Tahiti, des missions photographiques au-dessus des atolls, futurs champs de tirs et bases du CEP Les deux années suivantes, ils opéreront à partir des terrains de Mururoa, Fangataufa et Hao pour photographier d'autres îles.

Au 1er octobre 1964, la Marine constitua la Section de Liaison du Pacifique qu'elle armera avec des hydravions Consolidated Vultee PBY-5 A Catalina. Les deux premiers exemplaires de ces bimoteurs des années quarante (les n°20 et 32), seront convoyés depuis le Canada et arriveront respectivement les 4 et 26 mars 1965. Suivirent les n°48, 81 et 87. Ces appareils amphibies (appelés aussi "PBY") pouvaient transporter une dizaine de passagers et furent immédiatement opérationnels. Leurs missions dites "de servitudes" consistaient essentiellement à desservir les atolls périphériques. A la fin de l'année, deux appareils de la SLPAC se déchireront le même jour sur les pâtés de coraux du lagon d'Hikueru, situé à une centaine de km de Hao. En avril 1966, un troisième appareil s'éventrera à Reao. Aucune victime ne fut à déplorer lors de ces trois accidents mais la mésaventure des Catalina incita la Marine à s'intéresser au nouvel hélicoptère lourd et amphibie: le Super-Frelon.

Le 1er janvier de cette même année, l'état-major de la Marine créa le Groupe Occasionnel d'Hélicoptères du Pacifique (GQHP) qui devait regrouper les flottilles et l'escadrille embarquées du porte-avions Foch, lequel était attendu secrètement au début du mois de juin. Les premiers avions de patrouille maritime Neptune (ex-P2 V-6 de l'américain Lockheed) appartenant à l'escadrille 8S, arrivèrent à Hao les 17 et 22 avril 1966. La mission de ces gros bimoteurs (à la livrée noire) consistait à surveiller l'espace aéromaritime et les approches de la zone interdite.

Le 14 septembre de la même année, la Marine créa la Section Alouette du Pacifique (SectAlPac) qui se composait de quatre SE 3160 Alouette III intégrées au GAN de Hao avec les aéronefs de l'escadrille 23S débarqués du porte-avions. Le 30 mars 1967. l'Alouette "213" se "crashe" à basse altitude à Amanu, à la suite d'un malaise du pilote. Il n'y aura pas de victime, mais la machine est condamnée. L'échec des Catalina avait donc conduit la Marine et la DirCEN à ne pas renouveler l'expérience des hydravions. La DirCEN acheta cinq modèles du tout nouvel hélicoptère amphibie Super-Frelon SE 3210 de la SNIAS. Ces premiers hélicoptères lourds français étaient de véritables prototypes. chaque appareil présentant des caractéristiques techniques différentes.

Au 1er décembre 1967. la Marine créait l'escadrille 27S pour mettre en oeuvre les quatre Super-Frelon (n°101. 102, 105 et 106) qui furent embarqués sur le Clemenceau le 8 mars 1968 avec la seconde Force Alfa. La 27S et ses appareils seront intégrés au GAN de Hao jusqu'en 1976. En 1970. un cinquième Super-Frelon (le n°150) viendra compléter l'escadrille de ces hélicoptères amphibies. L'année 1968, Hao verra l'arrivée de trois nouveaux Neptune P2H détachés de la flottille 23F. L'escadrille 12S qui sera armée de Neptune P2H (exP2 V-7) est officiellement constituée à Lorient le 1er avril 1969. En octobre 1971, la 23F de Hao laissera deux Neptune (n° 144690 et 146431) qui furent définitivement affectés en Polynésie en devenant les éléments précurseurs de l'escadrille 12S (réarmée le 5 février1971) dont la section P2 H-Pacifique sera détachée de novembre 1971 à mai 1972.

Entre-temps. la SLPAC armée des derniers Catalina sera dissoute le 1er janvier 1972. Le 5 mai 1972. trois autres P2H (n° 146435, 146436 et 146437) arriveront à Faa'a en provenance de Lorient. En mai de l'année suivante. deux autres Neptune viendront de Métropole. A l'issue de la campagne de tirs, les P2 H "431" et "690" seront réformés. Après avoir été découpés sur place au chalumeau et embarqués sur une gabare. ils furent "océanisés" entre Hao et Amanu. Le "690" gisait précisément par 1807,3 mètres! Quant aux Neptune "435", "436" et "437" (prêtés par les Etats-Unis au titre de l'aide financière de l'Après-Guerre) ils durent être restitués. Ils seront convoyés le 19 octobre vers Tucson en Arizona.

En période d'inter-campagne. la 12S n'alignait plus que deux appareils; les "696" et "432". Pour la dernière campagne des essais aériens. elle sera renforcée par trois P2H venus de Métropole; les "433". "686" et "687". Le 24 septembre 1974. à 8 heures (heure de Tahiti). l'escadrille de surveillance et de servitude 12S était officiellement affectée à Faa'a. Lors de sa campagne autour du monde et après son escale à Tahiti en janvier 1969, le navire-école Jeanne d'Arc - qui est avant tout un porte-hélicoptères - vécu à Mururoa, les premiers appontages et accrochages de SA 321 G Super-Frelon sur son pont d'envol. Quelques semaines plus tard, le "101" connut un grave problème de rotor et fit un atterrissage d'urgence sur un atoll désert. L'avarie liée à la corrosion du bord d'attaque des pales et du rotor entraînera l'interdiction de vol des autres aéronefs. Les Super-Frelon "102" et "106" seront ramenés en Métropole en mars 1969 à bord du TCD Orage, les deux autres étant placés sous cocon. La flottille des Super-Frelon se reconstituera le 5 septembre de cette même année.

A partir de 1971, les Super-Frelon seront embarqués pour chaque campagne sur les deux TCD Orage et Ouragan. Le 5 juin 1971, l'Alouette "449" s'abîma dans le lagon de Mururoa quelques heures après le tir Dioné. Le 28 octobre 1972, le rotor anti-couple de l'Alouette "222" heurtait une structure de la Rance. La machine se précipita dans la mer. En 1974, c'est une autre Alouette III , affectée en renfort, qui fut accidentée lors de son débarquement par voie maritime à Hao. Aucune victime ne fut à déplorer pour ces trois accidents.

Entre-temps, le 1er janvier 1973, le GAN-Hao qui regroupait les Super-Frelon de la 27 S et les Alouette III de la SectAlPac, est transformé en GAN Pacifique (GAN-PAC) jusqu'en 1976, année de sa dissolution. Le 29 octobre 1974. les appareils et les personnels de la Section Alouette sont versés à la 27 S. La SectAlPac sera dissoute au 1er janvier 1975.

Les années 80-90

Avec la fin des essais atmosphériques, la Marine fut amenée à redéployer ses moyens, la présence de la plupart de ses bâtiments n'étant plus indispensable. Plusieurs d'entre eux, atteints par la limite d'âge furent envoyés par le fond. La restructuration du CEP qui obligea à un repli des armées sur Mururoa, contraint aussi la DIRCEN à disposer de nouveaux bâtiments. Deux bâtiments de soutien régional de 500 tonnes, le Chamois et le Taapé rejoignent le CEP successivement en 1976 et 1984. Le Tapatai, en service en 1981, sera précocement désarmé en 1992.

La gabare de mer Tianée (ex-Varo) de 905 t entrera en service en 1975. La DIRCEN a acheté pour Mururoa, trois remorqueurs portuaires et pousseurs de 12 tonnes de traction, dotés d'un canon à eau, Maita et Maroa. tous deux en service en 1984 et le Manini mis en service en 1985. Pour assurer les travaux herculéens, deux remorqueurs ravitailleurs RR4000, ont été commandés : Rari et Revi, mis en service en février et mars 1985. Leur vénérable prédécesseur, le remorqueur de haute mer Hippopotame, fut "accueilli" au royaume de Neptune le 4 avril 1986. Un EDIC type 700 (de 726 tonnes pc), le L9051, fut mis en service en 1987 pour assurer les transports entre les sites et Tahiti. Pour mener ses interventions amphibies sur les théâtres européens et en Afrique, la Marine ne pouvait compter que sur ses deux TCD Orage et Ouragan (trés sollicités par ailleurs) pour assurer le transport logistique du CEP. En 1984, la DIRCEN commande aux chantiers civils Dubigeon de Nantes un bâtiment de transport et de soutien. Achevé par les Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, le Bougainville sera opérationnel le 25 février 1988. Mesurant 110 mètres de long et déplaçant 4870 tonnes en pleine charge, le BTS assurera le transport des matériels entre la Métropole, Tahiti et l'atoll.

Comme au temps des "aériennes", les forces de souveraineté ont ponctuellement participé à la surveillance de la zone autour du Centre d'Expérimentations. Les vieux dragueurs côtiers en bois reclassés patrouilleurs (Paimpoloise et Lorientaise) furent coulés et remplacés par les nouveaux P400 La Railleuse en 1987, La Gracieuse et La Tapageuse en 1988. Le Commandant Bory et le Henry, les deux derniers avisos-escorteurs qui dépendaient des forces maritimes du Pacifique, furent remplacés (le 29 juillet 1985 pour le premier) par des avisos A 69, le Commandant Blaison et le Jean Moulin en attendant la relève des nouvelles frégates de surveillance.

En juin 1992 la première FS, le Prairial, était intégrée aux forces maritimes du Pacifique, suivie en 1993, du Vendémiaire. Depuis 1991, un bâtiment hydrographique A795 Arago basé à Papeete. sillonne les eaux de la Polynésie pour y effectuer les levés hydrographiques et bathymètriques. Ce bâtiment blanc qui dépend également des forces de souveraineté, a effectué des missions au profit du CEP.


[Sommaire Net Marine]