Les tribulations du Q 790 (ex-Clemenceau)


Le porte-avions Clemenceau quitte Toulon (13 octobre 2003).
La dernière sortie du porte-avions Clemenceau a lieu le 17 juillet 1997. Il est retiré du service actif le 25 septembre de la même année. Placé en complément le 1er octobre, il ne sera plus employé, et ne servira plus que comme stock de pièces de rechanges au profit du porte-avions Foch (ce dernier étant vendu à la marine brésilienne, et naviguera par la suite sous le nom de Sao Paulo). Il relève, à partir du 3 mars 1998, de la majorité générale, puis du commandant de la base navale de Toulon.

2002

Le Clemenceau est condamné le 16 décembre 2002 sous le numéro de condamnation Q790. Il passe sous la responsabilité du ministère des Finances (services des Domaines), qui gère administrativement le parc des bâtiments condamnés en vue de leur vente et/ou de leur démolition.

On évoque alors le projet de le couler en rade de Marseille pour former un récif artificiel au large du Frioul, mais ce projet est abandonné (provisoirement ?). Le rêve marseillais de voir le porte-avions Clemenceau servir de spot de plongée aux amateurs d'épaves est passé. Du moins il n'est plus question, depuis un courrier du 4 novembre 2002 adressé par le vice-amiral d'escadre Collinet, préfet maritime, aux services municipaux, d'envisager son immersion en rade de Marseille.

2003

La coque est vendue par le biais d'une offre publique d'achat le 13 juin 2003 à la société espagnole Gijonese de Desquaces, pour quelques millions d'euros (la France donne le bateau, et le chantier naval se rémunère en revendant près de 30 000 tonnes de ferraille), la coque doit alors gagner un chantier de Gijon pour y être désamiantée avant son démantèlement.

Le porte-avions appareille le lundi 13 octobre 2003, aidé en cela par les remorqueurs Lubéron et Estérel.

          


Embossé sur coffre à Brégaillon en rade de Toulon (9 juin 2003).

Mais, le 17 octobre 2003, un avion de patrouille maritime Atlantique 2 constate que le remorqueur italien, affrété par la société de ferraillage, s’engage dans le détroit de Sicile. Il se dirige en fait vers la Turquie, sur le chantier d'Aliaga, près d'Izmir.

La Marine décide de bloquer le convoi à l'aide de la frégate Guépratte alors dans la zone.

Le 8 novembre, le remorqueur Carangue, basé à Toulon et affrété par la Marine, prend en charge le Clemenceau au voisinage des côtes de Sicile, toujours sous la surveillance du Guépratte. Le Clemenceau fait retour en rade d'Hyères. Il y stationne quelques jours et manque même un soir de grand vent de s'échouer sur la plage. Les remorqueurs de la base navale de Toulon le maintiendront à flot courageusement au milieu des bourrasques, et le ramèneront peu après à Brégaillon en rade de Toulon, d'où il était parti quelques semaines avant.  

2004

Le gouvernement français résilie alors le contrat avec la société espagnole Gijonese de Desquaces. Le titulaire est désormais la société allemande Ship decommissioning industry, filiale du groupe Thyssen basée à Hambourg (Allemagne).

Après être resté quelques mois embossé sur coffre à Brégaillon, le Clemenceau vient s'ammarrer au quai d'honneur le 21 juin 2004, en prévision d'opérations de désamiantage et de démolition.

Un contrat de désamiantage et de démolition de la coque de l’ex Clemenceau est signé le 23 juin 2004 entre l’Etat et le consortium Ship Decomissioning Industries Corporation (SDI), administré par la société allemande Eckhart Marine GMBH. L’amiante contenue dans la coque de l'ex-porte-avions est retirée à Toulon par Technopure, sous-traitant de SDI spécialisé dans les métiers de la décontamination du bâtiment et de l’industrie. Le désamiantage dans le port militaire de Toulon débute le 28 juin 2004.

   


Un commando de six activistes de Greenpeace intervient à bord et à proximité du Clemenceau (12/12/2005)
Cette opération de désamiantage permet, selon les pouvoirs publics, de débarrasser le bâtiment d'une partie importante de son amiante, le reste ne pouvant l'être sans mettre en péril la navigabilité du bâtiment.

2005

Mais des associations écologistes doutent des chiffres fournis par l'Etat et estiment que la France viole les conventions internationales en exportant des déchets toxiques.

Le 12 décembre 2005, un commando de Greenpeace intervient à bord et à proximité du Clemenceau. Six activistes arrivent par voie de mer dans des embarcations. Le septième y parvient en parapente, en s'élançant des hauteurs du mont Faron, qui domine Toulon. Greenpeace entend protester contre la vente à l'Inde de ce navire en raison de l'amiante qu'il contient.

Quatre associations, dont Greenpeace, déposent le lundi 26 décembre un référé en suspension devant le tribunal administratif de Paris pour tenter d'empêcher le départ du porte-avions Clemenceau en Inde pour son désamiantage final et son démantèlement. S'en suit une bataille de chiffres opposant l'Etat et les associations sur la quantité d'amiante restant à bord du porte-avions.

Le tribunal ne donne pas gain de cause aux association, et, profitant d’une fenêtre météo favorable, l'ex-porte-avions, quitte Toulon le 31 décembre 2005 en direction du port indien d'Alang, où il devrait être démantelé. La coque est remorquée par la Carangue (remorqueur toulonnais affrêté par la Marine) jusqu'au large, puis par le Sumatras, un remorqueur affrété par SDI (Ship Decommissioning Industries), le consortium chargé du désamiantage du navire. La frégate Aconit escorte le convoi.

   


Nouveau départ de Toulon (31 décembre 2005)

2006

Le 6 janvier 2006, la Cour Suprême indienne émet un premier avis négatif concernant l'importation du Clemenceau, qu'elle juge comme un déchet toxique.

Le 12 janvier, deux militants de Greenpeace, un Français et un Danois, parviennent à monter à bord de l’ex porte-avions, alors que ce dernier se trouve à 90 nq du canal de Suez. Les deux activistes grimpent en haut de la mâture. Le Groupement d’Intervention Rapide (GIR) de la frégate Aconit, monte à bord du Clemenceau, sans tenter de les déloger, pour d'évidentes raisons de sécurité. Les militants quittent le bâtiment le lendemain.

A l'approche du canal de Suez le 12 janvier, les autorités egyptiennes font alors savoir que le porte-avions ne sera pas autorisé à traverser le canal, car il est considéré comme un déchet dangereux. Le 15 janvier, après trois jours de déclarations contradictoires et de discussions avec le gouvernement français, Le Caire donne finalement son accord, acceptant de déverrouiller l'accès du canal de Suez à l'ex-porte-avions. Le paiement d'une "dime" supplémentaire de 200 000 dollars n'est certainement pas étranger à cette décision. La coque de l'ex-Clemenceau mouille alors à Port-Saïd, à l'embouchure du canal de Suez, préalable à la traversée. Le 23 janvier, il s'engage dans le canal de Suez, des remorqueurs supplémentaires ayant été affrété pour l'occasion. Il entre en mer Rouge le mardi 24 janvier au matin.

Le 12 février 2006, le ministère de la Défense annonce que 30 tonnes de déchets amiantés, sur les 115 officiellement retirées lors de la première phase du traitement du bâtiment, sont portées manquantes. Les déchets auraient disparus entre Toulon et le centre d'enfouissement de déchets de Bellegarde (Gard). Toutes les pièces du dossier n'ont toutefois pas été trouvées, il est possible que ce ne soit qu'une simple erreur administrative.


Arrivée à Brest (17 mai 2006)
Le 13 février, la Cour suprême indienne demande un complément d'expertise pour le 17 février, en vue de déterminer la nature exacte des matériaux composant l'ex-Clemenceau, et interdit au bâtiment de pénétrer dans les eaux territoriales de l'Inde avant cette date. Le porte-avions est alors dans le nord de l'océan Indien, à environ une semaine des côtes indiennes, sous l'escorte de la frégate Aconit.Le 15 février, le Conseil d'Etat français suspend le transfert du Clemenceau vers le chantier indien d'Alang, arguant du fait que la coque de l'ex-Clemenceau est bien un déchet et non un bâtiment de guerre. Quelques minutes après la décision du Conseil d’Etat, le président de la République ordonne son rapatriement dans les eaux territoriales françaises, en attendant une solution définitive. Michèle Alliot-Marie a annonce que le retour du Clemenceau se fera à Brest, via le cap de Bonne-Espérance. Le voyage durera environ trois mois.

Début mars, une enquête préliminaire est confiée à la section de recherche de la gendarmerie de Marseille. Six gendarmes spécialisés DEFI (délinquance économique et financière) vont tenter de démêler les fils du dossier de désamiantage de l’ex-Clemenceau, entre autre pourquoi 115 tonnes d’amiante aurait été retirées du navire alors que 85 seulement sont parvenues à la décharge de Bellegarde, spécialisée dans la gestion de ce type de déchets.

A la mi-mars, l'ex Clemenceau fait relâche devant le port de Mombasa, au Kenya, pour changer de remorqueur. Le Sumatras qui l'avait remorqué depuis Toulon, passe le relais au Sable Cape, plus puissant, mais surtout, qui dispose d'une plus grande autonomie.

Le 6 avril, le convoi passe le cap de Bonne-Espérance, pointe sud de l’Afrique. A une moyenne de six nœuds, il est attendu en rade de Brest fin mai, où il rejoindra l’épi nº4 du port militaire.

      


La coque de l'ex Clemenceau et le Bâtiment de Projection et de Commandement Tonnerre à quai à Brest (mai 2006).

A la mi-avril, on apprend que le dock flottant de 50 000 tonnes du port autonome du Havre n’est plus à vendre et pourrait servir au désamiantage de navires. Fin avril, le remorqueur et la coque Q790 passent à la hauteur de la Sierra Leone. La coque du Clemenceau arrive à Brest le mercredi 17 mai.

En juillet 2006, le service de soutien de la flotte notifie à la société Veritas, un marché d’expertise et de recensement de l’ensemble des substances potentiellement dangereuses de l'ex Clemenceau.

Le 24 novembre, un appel à candidature est mis en ligne sur le site Internet de la Défense pour un marché public de démantèlement de la coque Q790.

Le 14 décembre, le rapport d’expertise de société Véritas relatif à la quantité d’amiante présente à bord de la coque Q790 a été rendu public par des représentants du ministère de la Défense et de la Marine nationale le 11 décembre devant de la commission locale d’information et de concertation. Il fait état de produits amiantés disséminés un peu partout dans le navire. Ainsi, 17,4 kilomètres de tuyauterie sont protégés par un calorifugeage amianté et on recense 2,8 kilomètres de ventilation amiantée. La présence d’amiante, matériau incombustible, sur le porte-avions s’explique par les risques importants d’incendie que génèrent l’activité aéronautique et la propulsion à vapeur. L’isolation effectuée à partir d’amiante projetée porte donc sur 2380 m² et en matelas amianté sur 3920 m². Par ailleurs, le navire sera démantelé en Europe et un groupe de déconstruction sera choisi à la mi-février.


La coque de l'ex porte-avions Clemenceau à Brest (6 juillet 2007).
2007

Le 21 mars, une ancre du porte-avions Clemenceau, venant de l’arsenal de Toulon, est mise en place à Camaret, au Mémorial de la Bataille de l’Atlantique, dans le cadre des chemins de mémoire.

Le 13 juillet quatre personnes sont mises en examen. Toutes liées au désamiantage partiel de la coque, réalisé par la société Technopure à Toulon entre 2004 et 2005. La justice leur reproche des surfacturations de 600 000 euros. Jean-Claude Gianinno, le gérant de Technopure, a été mis en examen pour corruption active de personne privée, faux et usage de faux à Marseille, et placé en détention provisoire. Il est soupçonné d’avoir acheté un responsable de SDI (Ship Decomissioning Industries, filiale d’Eckhart Marine), la société sous contrat avec l’Etat pour le démantèlement du Clemenceau, afin d’obtenir le marché. Briac Beilvert, un des dirigeants de SDIC, a été mis en examen pour recel d’abus de biens sociaux, escroquerie au préjudice de l’Etat et corruption passive. Il a été placé en détention provisoire. Deux autres hommes sont poursuivis, pour abus de biens sociaux, faux et usage de faux, et mis sous contrôle judiciaire.

Le 16 août, le maire de Saint-Paul de La Réunion demande officiellement au préfet de solliciter auprès des autorités de l’Etat la suspension de l’appel d’offres sur le démantèlement de l’ex-Clemenceau. Objectif : lancer des études approfondies sur la faisabilité de couler la coque Q790 en baie de Saint-Paul pour en faire un récif artificiel. Le 30 août, Michèle Alliot-Marie, interrogée sur le plateau de RFO Réunion sur la viabilité du projet, déclare que cette « belle fin » est « impossible techniquement et juridiquement ».

L’industriel sélectionné pour déconstruire le Clemenceau (parmi les cinq derniers prétendants) dévoilera alors sa méthodologie de travail. Le dock flottant, la barge de 300 m de long, propriété du port autonome du Havre, intéresse les principaux challengers de ce chantier qui se veut exemplaire. Mais cette idée sera abandonnée, ce dock flottant est vendu en mars à un chantier des Bahamas. A l'issue d'un appel d'offres international, cet équipement long de 310 m et capable d'accueillir des navires de 200.000 tonnes de port en lourd est acquis, par le chantier Grand Bahamas Shipyards basé à Freeport (Bahamas).


Départ de Brest (3 février 2009).
2008

Début 2008, seuls trois groupes ont officiellement annoncé avoir déposé une candidature. Veolia Propreté, qui souhaite renforcer ses activités dans le recyclage, annonce la création d'une filière de démantèlement à Bordeaux. Suez, de son côté, menera à bien la destruction et le retraitement du Lucifer (ex-corvette La Découverte) à Cherbourg. Enfin, Galloo, qui s'est vu confié l'an passé le traitement du transport de chalands de débarquement anglais Fearless, dispose déjà d'une expérience dans le démantèlement de navires militaires à Gand, en Belgique.

Mais c'est en fait un concurent surprise qui emporte le marché, puisque le 1er juillet, le ministère de la Défense annonce que le marché est notifié à la société britannique Able UK Ltd dont le chantier se situe sur la rivière Tees au nord-est de l’Angleterre L'opération sera effectuée à Hartepool au nord-est de l'Angleterre.

2009

Au regard des conditions météorologiques et de marée favorables, la coque du Q 790 (ex-Clemenceau) quitte Brest le 3 février 2009, remorqué par les moyens nautiques de la base navale. Il est ensuite remis au remorqueur océanique Anglian Earl qui le remorque jusqu'à Hartlepool en Grande-Bretagne, où il arrive quatre jours après.

Le retrait de l'amiante débute en avril 2009, et nécessite jusqu'à 80 techniciens spécialisés.

La mi-novembre marque le début de la découpe de la coque du Q 790. Le site d'Hartepool a été spécialement aménagé pour le démantèlement des navires. Il dispose d'une darse longue de 360 mètres pour une largeur de 290 mètres. D'une profondeur de 15 mètres, ce bassin s'étale sur 10 hectares. Creusée dans les années 70 pour pouvoir accueillir des plateformes offshores, , elle accueille non seulement l'ex-Clemenceau, mais aussi quatre anciens bâtiments logistiques de l'US Navy, ainsi que deux bateaux britanniques désarmés. Le découpage du nez du porte-avions réalisé entre le 16 et le 22 novembre aboutit à une certitude : la coque Q 790 ne pourra plus être remorquée.

2010

Le 6 février, un incendie se déclare à bord de l‘ex-porte-avions Clemenceau, en cours de démantèlement sur le site d‘Able UK, près d'Hartlepool. Plus de 50 pompiers sont appelés pour lutter contre le feu qui sera maîtrisé.

Net-Marine © 2010. Copie et usage : cf. droits d'utilisation.


[Sommaire porte-avions Clemenceau][Sommaire Net-Marine]