La flottille 25F : 75 ans de patrouille maritime

1952-1958 : patrouille maritime sur Lancaster

Le mardi 22 janvier 1952, au petit matin, le capitaine de corvette Mellet fit décoller un Lancaster « bleu royal» de Saint Eval en Grande Bretagne pour rejoindre Port-Lyautey. Les 1 800 km furent effectués en 5 h 45 à pleine charge (15 hommes plus des bagages et de nombreux rechanges). Ce fut le premier Lancaster de l'Aéronautique Navale à toucher le sol marocain.

Arrivée des Lancaster venus de Grande-Bretagne au Maroc (janvier 1952).

Arrivée des Lancaster venus de Grande-Bretagne au Maroc (janvier 1952).
La vente de 54 quadrimoteurs Avro Lancaster par la Grande-Bretagne (32 Mk l et 22 Mk VII, reconditionnés au standard Western Union) était le fruit des accords passés au début 1948 entre la France, le Royaume-Uni et les pays du Benelux, accords connus sous le sigle de l'Union Occidentale (Western Union). Les Lancaster, sélectionnés parmi les stocks d'avions neufs destinés à la R.A.F, furent modernisés, les modifications les plus importantes étant l’adjonction de réservoirs supplémentaires, la suppression de la tourelle dorsale, le montage d'un radome ventral destiné recevoir une antenne radar. Les quadrimoteurs ainsi équipés reçurent les matricules WU (Western Union) 01 à 54. La peinture « bleu royal » sera abandonnée au profit d'un bleu sombre « US Navy » dès la mise en service en formation. La première flottille à recevoir les Lancaster fut la 2F basée à Port-Lyautey, en remplacement des Wellington (mars 1952), suivie de la 55S à Agadir (avril 1952).

1952 : Création de la flottille 11F

Le premier août 1952 est créé à Lartigue (Oran) la 11ème flottille ASM, qui reprend l'insigne de l'escadrille 2B (la tête de Gazelle). Le capitaine de corvette Goullet de Rugy prend le commandement de la 11F et de ses dix Lancaster, prélevés sur le parc de la 2F. Afin de s'initier aux secrets du nouvel appareil, le futur commandant, trois ses officiers et une équipe de mécaniciens avaient suivi un stage en juillet au sein de la 55S. Si les avions livrés à la flottille sont en état de vol et révisés à neuf, les équipements opérationnels, les rechanges, l'outillage, les effets de vol et de sécurité sont rares. Le 11F-3 ouvre les vols de la flottille le 2 août 1952 avec à son bord : le CC de Rugy, l'EV Chataud, l'IM2 Raison, le MT Boudigue et les SM Guilles et March. Mais le plan d'armement de la 11F est loin d'être complet et le manque d'effectif gêne la constitution d'équipages : l'entraînement de la jeune flottille se déroule sans accident majeur. Au cours du mois de novembre, les avions sont enfin équipés de leur radar APS-15 et du système d'écoute de bouées sonores, à Cuers.

Le Lancaster 11F-1 vu en vol en 1952 ou 1953 (Archives Christan Boisselon)

Le CC de Rugy et trois de ses équipages vont du 10 janvier au 15 février 1953 faire le premier stage de Guerre anti-sous-marine (GASM) de la flottille à Istres. Le stage se compose d'une semaine à Toulon, de l'entraînement à Istres et d'un débriefing à Toulon. Le GASM consacre le caractère opérationnel des flottilles ASM, et son issue, trois équipages de la 11F sont prêts à remplir leurs missions. Le CC Goullet de Rugy laisse sa place au CC Martin à l'issue de ce premier stage. Trois autres équipages vont au GASM du 5 février au 28 mars 1953 ; une partie du personnel au sol les accompagne à Hyères. Mais à peine installée sous le soleil algérien, la flottille doit émigrer : la nouvelle affectation de la 11F sera la BAN de Lann Bihoué. La base voisine de Lorient avait été choisie par les Allemands pour y abriter plusieurs unités, et elle fut copieusement bombardée par les alliés en 1944-45. En 1951, Lann Bihoué est occupée par l’escadrille 1S et la flottille 5F, la flottille 2F (future 23F) de Dakar y ayant envoyé ses Wellington à plusieurs reprises en 1949 et 1950.

1953 : La flottille 11F devient 25F


Un Lancaster au Musée de l'air et de l'espace du Bourget (juin 2001).

Le 20 juin 1953, lors de la réorganisation des formations de l'Aéronautique Navale, la 11F perd son nom pour celui de 25F (circulaire 295 EMG/AERO/O du 26 mai 1953). Une partie des équipages de la 11F forme le noyau de la 21F, équipée de P2V-6, et cette flottille garde l'insigne de la tête de gazelle. La 25F adopte donc le cormoran, disponible depuis la dissolution de la 32S.

Le premier vol de la 25F sera effectué sur le 25F-5 : EV Perrier, SM Ros, Cacace, Colin, Romain, Scoazec. Toujours en juin 1953, un équipage part à Londonderry, en Irlande du Nord, effectuer le premier GASM NATO. Y participent également des Lancaster de la 23F (Port-Lyautey), 24F (Lann Bihoué), 10S (St Raphaël avec l'état major du GASM de Toulon) et des équipages hollandais et anglais. Nos avions sont basés à Ballykelly et les instructeurs se battent pour voler sur Lancaster, la majorité ayant déjà volé sur cet appareil dans les squadrons anglais pendant la dernière guerre.

Mais revenons à Lann Bihoué : la BAN compte à l'époque 120 maîtres, 350 second-maîtres et 850 à 1000 quartiers-maîtres et matelots. Pour tout ce personnel, il n'existe qu'un bus de 45 places pour se rendre en ville... En août 1953, la 25F s'installe dans le site du Poullo où subsistent deux hangars et quelques baraquements ex-allemands. Dans l'attente de la construction d'un hangar adapté, la flottille se contente de l'infrastructure existante. Le camion Berliet (surnommé la bétaillère), auquel est attelée une remorque avec banquette, est censé établir les rotations entre la flottille et le reste du monde ; il se révèle bien vite insuffisant : le personnel se dépêche d'acquérir scooter et motos, et pour les plus riches, revenant d'Indochine, des automobiles.

En octobre 1953, deux nouveaux équipages vont au GASM à Istres avec les 25F-8 et 25F-4. La flottille participe aux exercices nationaux et interalliés. Lors de l'exercice November Moon du 31 octobre au 5 novembre les 25F-7 et 25F-8 sont détachés à Tunis.


Le Lancaster 25F-8 (WU29) photographié au cours d'un de ses nombreux déploiements (Archives Christan Boisselon)
En 1954, les officiers créateurs de la 11F débarquent, leurs deux années d'affectation accomplies. Le capitaine de corvette Goullet de Rugy, débarqué de la 21F, est affecté aux opérations de Lann Bihoué et retrouve la 11F devenue adulte en 25F. La flottille a effectué 3375 heures de vol sur Lancaster depuis sa création en 1952. La construction du hangar technique principal se termine et seul le débarquement de chefs de bord entraînés ralentit les activités de la flottille.

En mars, c'est Madagascar qui accueille les 25F-7 et 25F-8 dans le cadre de l'exercice Coelacanthe. Les deux appareils quittent Lann Bihoué un samedi matin, ils givrent au niveau du Cap Finistère, puis suivent l'itinéraire Colomb-Béchar, Niamey, Elisabethville (Congo Belge) où le 25F.8 doit changer un cylindre avarié. Le dépannage sera effectué avec les moyens du bord, par exemple, les segments seront positionnés à l'aide des pointes sèches des compas du navigateur. Le passage de la ligne fait oublier cet incident et l'amiral Ruyssen, à bord du 25F-8, baptise les néophytes. Au passage du front intertropical nos Lancaster s'élèveront à 17000 pieds sans oxygène à bord ! A Tananarive, l'amiral Barjot organise une mission vers La Réunion. Arrivés sur l'île, la seule essence disponible s'avère stockée depuis deux ans dans des bidons métalliques. Plutôt que de risquer une pollution du circuit essence les équipages préféreront faire les pleins à l'île Maurice dans des conditions plus favorables. Lors du départ vers la métropole, le 9 mars 1954, le 25F-6 (WU 53) sort de la piste de Mogadiscio en Somalie italienne et part en cheval de bois. Le choc est violent et les trains d'atterrissage se rompent à l'impact. L'équipage s'en sort indemne, par contre la cellule est condamnée sur place compte tenu de son état. Les moteurs, jugés récupérables, sont déposés et expédiés vers Lann Bihoué avant de partir en révision générale. Le 25F-7 regagnera normalement la Bretagne alors que l'équipage du 25F-8 sera rapatrié en Junker 52 vers Djibouti avant de rejoindre la France.

A Lann Bihoué, le 25F-21 (WU 13) ancien avion accidenté de la 24F est transformé en avion école radar : sa cellule vrillée ne permet plus l'exécution des missions opérationnelles ! Le radar est changé de place (il est monté face à l'avant) et l'adjonction d'une banquette permet à un moniteur d'instruire quatre élèves appartenant indifféremment à la 25F ou à la 24F. Cet appareil permettra également aux jeunes second-maitres pilotes de devenir chef de bord. A cette époque, les pilotes étaient formés aux Etats-Unis dans l'US Navy (appelation « pilote coca-cola »), ou au sein de l'Armée de l'Air à Marrakech et de la Marine à Khouribga et Agadir (pilote « vin rouge ») selon leur spécialisation. La 25F prend le SAR (Search and Rescue) jusque là dévolu à la 24F (partie en Indochine de mai à décembre 1954).

Elle dispose de deux Lancaster adaptés spécifiquement à la recherche et au sauvetage : les FCL 101 et FCL 102. Ces avions avaient été achetés par l’administration civile du ministère des transports (S.G.A.C.C.) et étaient mis en oeuvre par les flottilles, ces dernières fournissant les équipages. La 25F possédait également un Avro York sur les cinq achetés par la France : les points communs entre cet appareil et le Lancaster permettaient son entretien sans problème. Cet Avro York sera versé au SEA (Service entretien des aéronefs) de Lann Bihoué le 30 octobre 1954, deux autres étant utilisés jusqu'en 1961 et 1962.


Un Lancaster de l'escadrille 9S.

L'année 1955, offre à nouveau un exercice Coelacanthe en mars. Cette mission sera prétexte à une croisière d'endurance avec trois avions et pour itinéraire: Lann Bihoué, Agadir, Dakar, Lomé, Elisabethville, Tananarive, Mombasa, Beyrouth, Athènes, Rome, Lann Bihoué. Le retour est fertile en incidents : un avion casse un moteur à Dakar, le second tombe en panne à Brazzaville ; quant au troisième, épargné jusque là, il passe avec un moteur hors service au dessus de Quiberon. A nouveau, trois équipages suivent le GASM à Istres. Pour démontrer l'agressivité de la 25F dans ses missions, le 17 mai 1955, l'OE 2 Villemur largue deux bombes à 500 pieds lors d'un grenadage effectué avec le 25F-4 (WU 41) ! Par le souffle des explosions le nez vitré est fendu, l'intrados de l'aile gauche, le volet du plan droit et le carénage du moteur n°2 sont perforés par les éclats. D'autres incidents prennent parfois une tournure cocasse: le 25F-2 du LV Maureau en mission de bombardement ne continuera ses largages que par le maintien manuel d'une prise déverrouillée. Une bouée sonore restera accrochée 10 minutes à la roulette de queue du 25F-8 de l'EV1 Combes. Le 25F-2 du LV Cazeneuve en piste de nuit sur le terrain de Rennes brûle une de ses vessies de frein. La réparation sera effectuée le lendemain grâce au concours de l'aéro club local. Au début de 1956, les vols diminuent du fait de travaux entrepris sur la piste de Lann Bihoué. La flottille utilise les hangars H32 (le H14 actuel), et en partie H21 (E11).

Suite à la décision d'envoyer des Lancaster en Nouvelle-Calédonie, la 25F accueille la nouvelle escadrille 9S pendant sa période de formation sur Lancaster. Une partie du personnel va renforcer la 9S et un équipage de la 25F convoie vers Nouméa un Lancaster de la nouvelle formation.


Un Lancaster à Tontouta en Nouvelle-Calédonie
En mai 1957, un échelon de la 25F utilise la base mobile n°1 sur le terrain de Cherbourg-Maupertus. Il s'agit de continuer les activités opérationnelles sur un terrain de dégagement avec toute l'infrastructure technique et logistique de cette base mobile. Les missions ont lieu malgré un confort précaire et des installations de fortune. Le 15 mai 1957, le 25F-2 se posera en catastrophe à l'extrémité orientale de la piste. L'équipage s'en tirera sans grand mal mais il faudra l'aide de deux camions tracteurs et d'une grue du port pour pouvoir dégager l'appareil.

A cette époque, la 25F compte sept avions d'armes et une école radar. L'armement en personnel est de 16 officiers, 202 officiers mariniers et marins, pour 9 équipages ASM. La flottille reprend le SAR à partir du 1er octobre 1957. Du 1er janvier 1958 au 1er septembre, la 25F perd ses Lancaster ASM (anti-sous-marins) sauf deux, et conserve deux avions SAR (search and rescue). Les autres avions sont versés à la 55S et à la 9S. Le personnel débarque massivement et il ne reste que 9 officiers, 90 officiers-mariniers et marins pour constituer quatre équipages SAR. La flottille se consacre à l'entraînement de ses quatre équipages et affiche une disponibilité élevée pour les Lancaster SAR. La confection de chaînes SAR d'exercice par les services techniques de la base permet de rendre plus réalistes les exercices jusque là exécutés par largage de bombettes. L'incertitude quant à l'avenir de la flottille s’estompe : on parle de P2V-7 Neptune depuis quelque temps.

Enfin en mai 1958, la nouvelle officielle tombe : la 25F sera rééquipée avec le dernier cri en matière d'avion ASM lourd : le Lockheed P2V-7 Neptune.

Suite de l'histoire....

(Texte : Alexandre Gannier  et Jean-Michel Roche, avec la participation de Jean-Pierre Dubois, Lucien Morareau et Gérard Rost, d'après un manuscrit de M. Quinton réalisé en 1982 à l'occasion d'un concours national sur l'histoire des formations de l'Aéronautique Navale © 2006. Copie et usage : cf. droits d'utilisation ; Photos SHD-A 606Fi/Guillaume Rueda/457Fi/645Fi ; Peut être avez vous d'autres photos ou contributions pour compléter cet historique ?).


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