Vingt
ans de patrouilles
(d'après Cols bleus n°2395 10/05/97)
Le Redoutable
a pendant vingt années sillonné bien des océans. C'est toute une vie d'aventures
partagées avec des hommes à son bord, pour servir une idée simple, dissuader
un agresseur potentiel de menacer le territoire français et ses habitants. Pour
cela, ses concepteurs lui ont ont donné seize armes terribles à têtes nucléaires,
des équipements performants et un système de propulsion reposant sur l'utilisation
de l'énergie nucléaire. Celle-ci lui a permis de pouvoir se déplacer avec une
grande autonomie et une discrétion parfaite. Bien qu'elle ne fut pas de tout
repos, sa vie, comme celle des hommes embarqués, a été réglée selon un rythme
parfaitement défini et régulier.
Deux équipages servaient à tour de rôle à son bord: l'équipage bleu et l'équipage
rouge. Après une patrouille opérationnelle dont la durée a augmenté tout au
long de sa vie, passant progressivement de 55 à 70 jours environ, l'équipage
bleu ramenait au port de l'île Longue et passait la suite à l'équipage rouge
qui le prenait en charge. Les "bleus" partaient alors en permission pendant
cinq à six semaines, les "rouges" s'occupant alors de l'entretien, avec le concours
de la DCN et le soutien logistique de l'île Longue, pour le préparer à reprendre
la mer à 100% de ses capacités. Accompagné par des bâtiments de surface qui
lui ouvraient la voie, il se dirigeait au large, vers son point de plongée.
En cet endroit choisi par le commandant, il quittait alors la surface des flots.
Vingt et un jours après son départ, les "bleus" reprenaient l'entraînement pour
six semaines afin de revenir à bord avec toutes leurs capacités. Après soixante-dix
jours de mer, il était de retour dans son havre de l'île Longue. L'équipage
bleu attendait sur le quai au garde-à-vous: l'émotion partagée par tous était
presque palpable. Un cycle s'achevait, un autre commençait, toujours renouvelé
et pourtant a chaque fois différent.
La
vie à bord
A l'intérieur de
sa coque cylindrique de 128 m de long et de 10,5 m de diamètre, il a toute la
place pour pouvoir accueillir non seulement les matériels, les équipements et
les armes nécessaires à son fonctionnement ainsi qu'à l'accomplissement de sa
mission, mais encore pour loger avec un confort suffisant tous les marins qui
les mettent en oeuvre.
Mais vivre à 135 en vase clos, dans l'espace restreint de sa coque épaisse,
demande santé et équilibre. Aussi tous les marins embarqués à son bord, comme
sur tous les SNLE, sont volontaires et soigneusement sélectionnés. L'équipage
vit pendant une patrouille au rythme journalier des quarts par tiers. La permanence
de l'action doit s'exercer avec la même vigilance de jour et de nuit. En dehors
des huit heures de quart quotidien, le personnel de chaque tiers doit aussi
assurer son entretien courant, le poste de propreté et celui des équipements
embarqués, opérations de maintenance et éventuellement de dépannage. Il pourra
enfin dans le temps qui lui restera se nourrir, se reposer et se distraire.
Périodiquement au cours de la patrouille, l'ensemble du personnel est rappelé
à son poste de combat pour s entraîner grâce à un programme de simulation du
lancement des missiles.
S'il reste totalement muet, il n'est pas sourd et les membres de mon équipage
sont informés des événements importants par des synthèses de presse, et de la
vie de leur famille par des "familigrammes", courts messages hebdomadaires
de vingt mots. Toutes ces informations concourent à maintenir l'excellent moral
que demande la mission.
D'autres détails de la vie quotidienne y contribuent. La pratique du sport,
malgré l'espace restreint , a ses adeptes : gymnastique, musculation, vélo d'appartement,
punching ball voire course à pied autour des tubes lance-missiles.
Une
retraite bien méritée
En vingt ans de
patrouilles, deux mille cinq cents hommes y ont été affectés. Ils ont servi
avec compétence, à l'abri de sa coque épaisse. Vingt capitaines de frégate et
capitaines de vaisseau ont été nommés à son commandement par quatre présidents
de la République. Grâce à ces marins de tous grades et de toutes spécialités
il a parcouru l'équivalent de 3,3 fois la distance de la terre à la lune ; a
passé onze années à la mer, dont dix en plongée et a effectué près de soixante
patrouilles.
Au cours de sa longue existence, trois grands carénages lui ont permis de refaire
à chaque fois peau neuve, et a connu successivement trois types de missiles
nucléaires, le Ml, le M2 et le M20.
Noël
à bord des SNLE
Au moment de Noël,
il y a des événements traditionnels qui revêtent une forme
particulière. Par exemple, la messe. Elle est enregistrée en video
avant d'appareiller et diffusée pour ceux qui le désirent.
Jour de Noël ou pas, ce qui compte c'est la mission. Les quarts sont respectés
et la discipline à bord reste la même. Alors bien sûr, l'ordinaire
est différent. On fait un repas pour marquer l'évènement
et surtout, tout le monde mange à la cafétéria, il n'y
a pas de repas servi au carré des officiers.
Avant le départ,
on rassemble dans un chapeau tous les noms des membres d'équipage - officiers
compris - et chacun tire au sort un papier. Il doit ensuite acheter un cadeau
pour la personne en question. C'est ainsi qu'un simple matelot peut devoir faire
un cadeau au Commandant. Le soir de Noël, les cadeaux sont offerts, mais
personne ne sait qui lui fait son présent. Cette manière permet
notamment à chacun de mieux se connaître car il faut généralement
se renseigner un peu sur le destinataire du cadeau pour savoir ce qui lui ferait
plaisir. Ou l'inverse, car bien sûr, on a déja vu des cadeaux empoisonnés.
Il existe des familigrammes. Ce sont de courts messages de 25 mots qui sont
transmis au sous-marin toutes les semaines. Chaque sous-marinier qui le souhaite
peut ainsi recevoir des nouvelles selon la fréquence qu'il désire.
Au moment de Noël, ces messages prennent bien sûr une dimension particulière.
Certaines familles arrivent même à dire énormément
de choses sur la soirée qu'elles ont passée. Et le résultat
sur les 25 mots est parfois amusant : certains ressemblent quasiment à
des messages codés.
Les familles jouent un rôle très important et trouvent parfaitement
leur place lors de ces Noël sous la mer. Généralement, elles
essaient de contacter un ami sur le bord et de lui remettre un cadeau à
offrir le soir voulu. (Objectif défense n°79 dec/jav 1999 - Cédric
Leguil)