Pourquoi
l'îlot des porte-avions se trouve-t-il désormais placé
à tribord ?
Placé
à l’arrière du pont d’envol, l’officier
d’appontage (OA) dispose d’une vision panoramique sur
le groupe aérien en orbite (au risque d’un simple torticolis…).
À l’origine de l’aéronautique les groupes
moteurs (et les hélices) des aéroplanes ne tournaient
pas tous dans le même sens (horaire). La plupart d’entre
eux tournaient même dans le sens antihoraire,
notamment ceux de la Royal Navy.
Par ailleurs les porte-avions n’ont pas toujours été
dotés d’un îlot à tribord. L’origine
de la disposition de l’îlot à tribord
tient principalement à la primauté du côté
tribord en matière de navigation maritime.
1.
Approche et présentation du groupe aérien.
Que l’îlot soit à tribord ou à bâbord,
la présentation (individuelle) des appareils, par l’arrière,
se fait nécessairement dans l’axe de la piste. En revanche,
précédant son approche finale, le circuit d’attente
du groupe aérien — en hippodrome, par la droite ou
par la gauche — sera de préférence choisi selon
l’emplacement de l’îlot.
Devant
lui garantir constamment la vue directe sur les appareils en phase
d’appontage, le positionnement de l’officier de quart
aviation (OQA) (cf. note 1), ou du chef aviation, découle
naturellement de l’implantation de l’îlot.
2.
Inverser la position de l’îlot ?
Placer aujourd'hui l’îlot à bâbord serait
aussi peu judicieux que d’inverser le côté de
circulation des trains dans les chemins de fer qui roulent à
gauche.
La
disposition actuelleà tribord est d’ailleurs tellement
intégrée au concept que certains grands porte-aéronefs,
qui ne sont pourtant pas des porte-avions, répondent couramment
à ce critère.
À
plus forte raison en est-il systématiquement ainsi pour les
porte-avions, même si ces derniers n’embarquent pratiquement
plus de monomoteurs à hélice. Mais
l’hypothèse d’une disposition différente
est évidemment concevable, et ce d’autant plus que
l’îlot n’a pas toujours été
disposé à tribord (cf. note 3).
Le porte-avions Foch.
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Le porte-avions Dixmude. |
3.
Rotation des hélices et disposition inversée.
A l’origine, et même bien après, les hélices
des appareils monomoteurs (embarqués ou pas) ne tournaient
pas toutes dans le sens horaire vues du pilote (cf. note 2).
Ensuite,
même si les hélices avaient toutes tourné dans
le même sens horaire, et si ce sens s’était révélé
capital pour la stabilité à l’appontage, notamment
en cas d'appontage manqué (bolter), le positionnement de l’îlot
qui en aurait découlé se serait nécessairement
imposé d’une façon universelle et définitive.
Or ça n’a pas été le cas, puisque, par
exemple, dans les années 1930, trois divisions de porte-avions
japonais étaient, ou devaient être, constituées
de porte-avions « miroirs » (cf. note 3),
infirmant ainsi l’évidence de la disposition unique
à tribord.
Inversement,
si le positionnement à tribord de l’îlot avait
été une conséquence de la rotation horaire
des moteurs, cette disposition universelle de l’îlot
aurait à son tour imposé l’unicité horaire
de la rotation des moteurs. Là non plus, il n’en a
rien été puisque de nombreux appareils, après
1930, ont continué à avoir une hélice à
rotation antihoraire ! (cf. note 4).
Enfin,
l’exemple de l’un des tout premiers appareils embarqués,
le Sopwith Camel, apporte un contre argument du rapport
entre la commodité d’un virage et le positionnement
de l’îlot. Doté d’un moteur rotatif Gnome
9B le Sopwith Camel était réputé
virer mieux à droite qu’à gauche. En effet,
davantage qu’un moteur fixe entraînant une hélice,
un moteur rotatif présente une importante masse en rotation,
avec un moment d’inertie et un moment cinétique en
conséquence.
Cette
particularité facilitait le virage du côté de
rotation du moteur. Dans cette logique, sa rotation antihoraire
favorisait donc le virage à droite plutôt qu’à
gauche. Au point qu'un virage de 270° vers la droite était
plus avantageux qu'un virage à gauche de 90° !
Si
ce sens de rotation avait été déterminant pour
le positionnement de l’îlot, les Britanniques en auraient
tiré la conséquence pratique et auraient placé
à bâbord (et non à tribord, comme ce fut le
cas) celui du HMS Furious puis celui du HMS Hermes.
4.
Maniabilité, bolter et wave-off.
À
l’origine du concept, dans les années 1910-1920, les
avions (terrestres ou embarqués) étaient légers
(trop, parfois) mais très voilés et relativement peu
puissants ; les distances de roulage (décollage comme appontage)
étaient donc courtes, notamment en raison d’une vitesse
relative modérée.
L’avant
du pont étant généralement occupé par
des appareils parqués, les bolters (appontages manqués) et
les wave-off (ordre de dégagement en phase d'appontage) étaient
donc rares. C’est l’apparition des ponts obliques et
l’augmentation du poids et de la puissance des appareils qui
en a généralisé la pratique.
N’étant
donc pas décisive, l’incidence d’une remise de
gaz sur la tendance de l’avion à basculer d’un
bord ou de l’autre, en fonction du sens de rotation de l’hélice,
ne pouvait déterminer drastiquement le choix architectural
initial du porte-avions. Ce que confirme l’exemple des porte-avions
nippons des années 1930.
5.
Conclusion
Les
vraies raisons de l’implantation de l’îlot à
tribord ne sont donc pas à chercher dans des justifications
rationnelles, et à posteriori, au risque de l’erreur
d’anachronisme. Elles sont moins strictement aéronautiques
(rotation des hélices, placement de l’OQA) que maritimes
et navales.
Cependant,
ces raisons sont effectivement doubles, et tiennent au pragmatisme
et à l’expérience.
Avant
même de se soucier des difficultés du pilotage des
avions induites par la disposition de l’îlot, il convenait
avant tout de construire un bâtiment répondant aux
exigences de la navigation maritime.
La
première raison tient donc à la primauté du
côté tribord des navires (cf. note 5) et à la
notion, en navigation maritime, de la priorité à droite.
S’appuyant sur ces notions, le pragmatisme et le sens marin
des Britanniques, précurseurs à l’origine du
concept du porte-avions, ne pouvaient que fixer ce choix logique.
L’expérience
acquise depuis l’arrivée à maturité du
porte-avions au cours de la seconde guerre mondiale, et particulièrement
de la guerre du Pacifique, a entériné la dissymétrie
des ponts plats. Aujourd’hui totalement universelle, l’implantation
à tribord n’a évidemment aucune raison d’être
remise en cause.
Patrick
Venot
pour Net-Marine © 2014. Photos Clemenceau/Foch/Dixmude/Arromanche
© Marine Nationale ; Photos Charles de Gaulle © Guillaume
Rueda. Copie et usage : cf. droits
d'utilisation.
- Note 1 : … et non de
l’officier d'appontage (‘OA’) qui se tient,
lui, à l’arrière du pont ; et qui, de fait,
a la vue permanente sur les appareils en approche, situés
dans l’axe arrière, et une vue panoramique (si
nécessaire) sur l’ensemble de la pontée
en orbite.
-
Note 2 : Depuis la fin des années
1910 (période où se situe l’origine du concept
du porte-avions) jusqu’à l’époque
contemporaine, on peut constater que (vue du pilote) l’hélice
(et le moteur) des monomoteurs embarqués n’a pas
toujours tourné dans le sens des aiguilles d’une
montre (ou sens horaire), bien au contraire. En effet si les
appareils de l’US Navy, et ceux de la marine impériale
nippone, ont pratiquement tous des moteurs à sens horaire,
ce n’est paradoxalement pas le cas pour bon nombre de
leurs équivalents britanniques. Sopwith Camel
(1917), Blackburn Ripon et Dart (1927), Blackburn
Roc I (1935), Blackburn Skua II (1935), Fairey
III F (1927), Fairey Swordfish (1934), Fairey
Albacore I (1939), Gloster Gladiator II (1937),
Hawker Nimrod (1927) sont tous à moteur inversé
(antihoraire). Il en va d’ailleurs
de même pour plusieurs appareils français embarqués
(sur le Béarn) : Gourdou Lesseure 432
(1927), Wibault 74 (1927), Morane Saulnier M.S.
226 (1934), Dewoitine D.373 (1935), Loire-Nieuport
LN 401 (1939), Latécoère Laté
299 (1939) ; tous à moteur antihoraire.
- Note 3 : Concevant alors leur
emploi tactique par paire, la marine impériale japonaise
endivisionne ses porte-avions deux par deux. Parmi ces divisions
homogènes de porte-avions, trois d’entre elles
se distinguent par la symétrie-miroir qu’elles
présentent (en ligne de front) :
- Première division de porte-avions
: Kaga et Akagi ;
- Deuxième division de porte-avions : Soryu
et Hiryu ;
- Cinquième division de porte-avions : Shokaku
et Zuikaku.
Par ailleurs semblables entre eux dans
leurs grandes lignes, les porte-avions de ces trois divisions
se diffèrent par la disposition de leur îlot respectif.
Ou plutôt par la disposition de leur passerelle. Kaga
et Soryu ont leur îlot à tribord, alors
que celui des Akagi et Hiryu est à
bâbord. Dans la troisième paire, le Shokaku
est normalement construit avec un îlot à tribord,
alors que le Zuikaku est prévu avec le sien
à bâbord, à l’instar des Akagi
et Hiryu. Cependant, les essais de l’Hiryu
ayant mis en évidence les inconvénients de ne
pas avoir également inversé l’implantation
des cheminées, le Zuikaku sera finalement achevé
à l’identique du Shokaku, avec son îlot
à tribord.
En ligne de front, le porte-avions de
droite avait donc son îlot à bâbord, et inversement
pour sa conserve de gauche.
Cette symétrie dans le groupe vise
à permettre, y compris et surtout, en phase de ramassage,
la mise en œuvre simultanée de leur groupe aérien
respectif, sans risque d'interférence, en séparant
les orbites d’attente. Le groupe aérien du porte-avions
dont l’îlot est à tribord orbite donc en
circuit gauche, à l’opposé de celui du porte-avions
dont l’îlot est à bâbord et qui orbite
en circuit droit.
Pour autant la position ainsi inversée
des îlots n’impliquait pas l’inversion du
sens de rotation des hélices des appareils embarqués
; ce qui, en toute cohérence, aurait été
le cas si la contrainte de stabilité en cas de bolter
avait été déterminante. Les flottilles
respectives des PA "tribord" et des PA "bâbord"
étaient en effet composées des mêmes types
d’avions (à hélice horaire).
- Note 4 : À la rigueur
peut-on imaginer qu’après un (bien naturel) balbutiement
initial sur le sens des hélices et le placement de l’îlot,
l’expérience et le pragmatisme auraient conduit
à fixer définitivement ce double choix. Et qu’à
partir de la fin des années 1930 (arrivée à
maturité du concept porte-avions et des avions) il soit
devenu évident que, l’îlot étant définitivement
à tribord, l’hélice devait systématiquement
tourner (vue du pilote) dans le sens horaire.Or
ce n’est pas du tout ce qui s’est passé.
Même après 1940, les Britanniques
ont continué à monter des moteurs et hélices
antihoraires sur leurs appareils embarqués, tels les
: De Havilland Sea Hornet MkXX (1946), Fairey Spearfish
(1944), Fairey Firefly IV (1944), Hawker Sea Fury
X et XI (1944). Enfin "last
but not least" on ne peut manquer d’évoquer,
pour la France, le Breguet BR960 Vultur et… le
Breguet
BR1050 Alizé ! En ce qui le concerne, il est
vrai que le Vultur n’a pas été
réellement embarqué ; mais il était bien
prévu de l’être. Et son turbopropulseur Armstrong-Siddeley
« Mamba », hélice Rotol, tournait
bien dans le sens antihoraire. En bonne logique britannique,
évidemment, puisque ce moteur provenait d’outre-Manche.
Au cours de ses (plus de) quarante ans de bons et loyaux services
sur porte-avions (français et indiens) l’Alizé
n’a pas montré une maniabilité notablement
déficiente, alors même que son Rolls-Royce « Dart »
tournait lui aussi dans le sens antihoraire.
- Note 5 : Tribord est le côté
privilégié des navires. L'origine en remonte à
l'époque où le gouvernail (Stuur en néerlandais)
fixé sur le côté droit du navire (donc Stuurboord
en néerlandais, devenu Starboard en anglais) était
tenu par le pilote, faisant face à ce même bord
et tournant alors son dos (back en anglais) à l’autre
(bâbord, ou bas-bord en vieux français). De
ce fait, la droite l’emportant sur la gauche en navigation
maritime (et aérienne, d’ailleurs) la priorité,
comme la primauté, est accordée à la droite.
Avant même de prendre en compte la spécificité
du pilotage des aéroplanes, il était donc parfaitement
spontané et pragmatique de placer l’îlot
des porte-avions à tribord (même si, de son côté,
la marine impériale nippone a momentanément tenté
la disposition inverse — mais ce n’était
pas en raison de la rotation des hélices des appareils
embarqués).
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