La
bataille de Koh Chang (janvier 1941)
Préambule
Au
début de la guerre, le Japon qui supporte mal
la présence française en Indochine et qui
souhaite profiter de la défaite française de 1940,
pense pouvoir réaliser ses rêves expansionnistes
avec l'appui de son allié siamois.
Le
Siam (aujourd'hui la Thaïlande) qui négociait avec
la France un pacte de non-agression depuis plusieurs mois, déclare
brutalement en juin 1940 que la signature d'un tel traité
n'a plus raison d'être. Dès la fin de 1940, le
Siam, qui revendique la souveraineté sur tous les territoires
situés à l'est du Mékong, masse ses troupes
aux frontières du Cambodge, et commence une série
de provocations et d'incursions sur le territoire du Protectorat.
Nos forces réagissent avec vigueur et ainsi s'établit
un véritable état de guerre.
Il
apparaît alors clairement que si la Marine siamoise n'était
pas encore entrée en action, c'est qu'elle allait le
faire très bientôt. Pourtant jusqu'à ce
mois de janvier 1941, les opérations françaises
contre le Siam s'étaient bornées à des
opérations défensives... Mais pour l'amiral
Decoux, Gouverneur général de l'Indochine,
il était temps de prendre les devants. Le 15 janvier
il donne son feu vert à l'amiral Terraux, commandant
la Marine en Indochine, pour exécuter une opération
contre la Marine siamoise qui devait aboutir au combat de
Koh Chang.
Les forces
en présence
SIAM |
Type |
Nom |
Ton. |
Armement |
Garde-côtes
cuirassés |
Ayuthia |
2265 t |
IVx203 +
IVx80AA + IVx20AA
|
Dombhuri |
Torpilleurs |
Trat |
340 t |
. |
Phuket |
Pattani |
430 t |
IIIx76AA
+ IIx20AA + 4T.553 |
Surasdra |
Chandhaburi |
Rayong |
Chumporn |
Chomburi |
Songkla |
Phra-Ruang |
1000 t |
IIIx102 + Ix76AA + IIx20AA
+ 4T. 533 |
Avisos |
Maikron |
1400 t |
IVx120 +
IIx20 + 4T.456 |
Tahchin |
Sous-marins |
Maichanu |
370 t |
Ix76 + IVT. |
Wirun |
Sinsamudar |
Prichunboon |
Mouilleurs
de mines |
Bangrachan |
400 t |
IIx76AA +
IIx20AA |
Nonsaraï |
|
FRANCE |
Type |
Nom |
Ton. |
Armement |
Croiseur |
Lamotte-Picquet |
8000 t |
VIII.155 + IV.75 + 12.T |
Avisos
coloniaux |
Dumont d'Urville |
1970 t |
III.138+IV.37 |
Amiral Charner |
Aviso |
Tahure |
650 t |
II.138+I.75 |
Marne |
700 t |
II.100+II.65 |
Comme
on le voit sur ce comparatif, la Marine siamoise à
Koh Chang est bien supérieure à la
division navale française d'Indochine et cela,
aussi bien en tonnage (16600 tonnes contre 12500 pour
la France) qu'en hommes (2300 contre 950).
Les garde-côtes cuirassés type Dombhuri
sont aussi d'un modèle très récent
(mis en service en 1938) ainsi que les torpilleurs de
type Trat (mis en service de 1935 à 1937).
Face à eux, la flotte française est âgée...
De plus les côtes siamoises sont fort mal connues,
les fonds ne sont pas sains et les risques d'échouages
sont importants.
L'issue
de la bataille est très incertaine ! |
Nota : L'Ayuthia était amarré à Satahib
et n'a rallié Koh-Chang que le 17 au soir. Le Dombhuri,
mouillé à l'est de l'île en compagnie du mouilleur
de mines Nonsaraï et du chasseur de sous-marins Thieuoutok.
Ces deux derniers s'esquiveront dès le début de
l'action. Le Trat était resté à Satahib et
le Rayong avait été détaché la veille
en patrouille au nord de Koh Chang, ce qui ne lui permettra pas
de rallier à temps.
L'engagement
Le
groupe occasionnel, formé du croiseur Lamotte-Picquet,
des avisos coloniaux Dumont
d'Urville, Amiral Charner et des avisos Marne
et Tahure, est placé sous le commandement
du capitaine de vaisseau Bérenger, commandant
le croiseur Lamotte-Picquet.
Le CV Bérenger connaissait bien l'Extrême-Orient,
il y avait commandé en second, en 1911, de petits torpilleurs,
puis en 1929, l'aviso Marne.
Le
croiseur Lamotte-Picquet parti
faire le plein de carburant dans la matinée du 15, rallie
les avisos dans la soirée au mouillage dans la baie sud-ouest
de Poulo Condore. Vers 21h00, le groupe appareille et se dirige
vers le golfe de Siam à 13.5 noeuds (vitesse maximum
de route des avisos).
Dans
la matinée du 16 janvier des reconnaissances aériennes
sont effectuées et rapportent de précieux renseignements
sur les positions des bâtiments siamois :
- à
Satahib (pointe Est de la baie de Bangkok) : 1 garde-côte
cuirassé, 4 torpilleurs, 2 sous-marins, 2 bâtiments
légers ;
- à
Koh Chang : 1 garde côte cuirassé, 3 torpilleurs.
Le
CV Bérenger décide de concentrer ses forces
sur Koh Chang et adresse le message suivant aux bâtiments
placés sous ses ordres : "Attaque au jour des
bâtiments au mouillage sud de Koh Chang. Présentation
dans le sud-ouest de Koh Kra au jour. Dislocation sur ordre
pour gagner rapidement secteurs de tirs répartis comme
suit : section Tahure - Marne entre Koh Chang et Koh Kra, section
Dumont d'Urville
- Amiral Charner entre Koh Kra et Koh Klum, Lamotte-Picquet
entre Koh Klum et îlots Koh Chan. Ouverture du feu dès
que visibilité le permettra. La désignation des
objectif se fera sur place si possible. Décrochage au
signal. Dégagement des avisos se fera dans le sud-ouest."
Les
commandants des bâtiments français |
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Les choses
se compliquent !

Routes d'engagement (Cliquez pour agrandir) |
Le
17 janvier à 5h45, l'ordre de dislocation est donné,
l'action devant commencer à 6h15. Le Lamotte-Picquet
n'avait pu embarquer son hydravion, car ce dernier, comme tous
les appareils de l'aviation embarquée, avait été
remis à Catlaï pour y compléter une escadrille
aux ordres du LV Gaxotte. Cette escadrille (dont deux Loire
130) était basée à Réam depuis
le début des hostilités. C'est un Loire
130, parti de Ream et piloté par le LV Plainemaison
qui survole le site de Koh Chang à 6h05. Mais surprise,
c'est cinq unités qu'il aperçoit dont deux
garde-côtes cuirassés au lieu d'un. En fait, ce
sont les deux torpilleurs Chomburi et Songkla.
Les trois autres sont le Dombhuri, le Nonsaraï
et le Thieu Tok.
Ce
n'était pas prévu au programme ! L'aéronef
est repéré, et se retrouve sous le feu violent
de 76 CA. Il parvient néanmoins à regagner la
base sans dommage.
Je
reprends ici le récit du médecin major de l'Amiral
Charner, le MDA J.Billiottet : Le temps est calme, le ciel
est clair, et nos bateaux qui sont maintenant à pied
d'oeuvre, se profilent nettement sur l'horizon dégagé
alors que l'ennemi, dissimulé dans la grisaille du petit
matin et se confondant avec la terre, est encore mal visible.
Les
Siamois ouvrent le feu les premiers
Alertés,
les deux torpilleurs siamois ouvrent le feu à 6h14. Les
deux sections d'avisos ripostent presque immédiatement.
Les premiers coups, tirés à 12500 par les avisos
coloniaux furent longs mais n'en furent pas moins très
utiles. 
Le
Lamotte-Picquet tire sa première
salve de 155 à 6h19, à 10000 m des bâtiments
siamois, puis à 6h20, il lance une gerbe de 3 torpilles,
et ouvre dans le même temps le feu avec ses 75 à
grand débit sur un torpilleur. De 6h25 à 6h35,
les deux artilleries (155 et 75) concentrent leur feu sur un
second torpilleur, le premier ayant été durement
touché dès les premiers coups de 155.
Selon
le contre-amiral Romé, à l'époque embarqué
sur le Lamotte-Picquet en
tant qu'enseigne de vaisseau, c'est la première salve
du Lamotte-Picquet qui aurait
détruit un poste d'observation situé à
terre et relié téléphoniquement à
Chantaboun. Le télémétriste du Lamotte-Picquet
avait cru voir le chiffre 11 (numéro de coque du torpilleur
Trat), ce qui crée une certaine confusion. En
fait, il s'agissait peut être seulement des pignons de
maisons du poste, touchés par la première salve
trop longue.
Pris
sous le feu des cinq bâtiments français, les deux
torpilleurs siamois auront durement encaissé entre 6h19
et 6h37. L'un deux explose presque immédiatement. De
6h37 à 7h00, les quatre avisos qui se sont rapprochés
entre 5000 m et 8000 m de l'adversaire, concentrent leur feu
sur les les torpilleurs qui chavirent et coulent la quille en
l'air. La colonne de fumée atteint trois ou quatre cents
mètres.
Il
ne reste plus rien sur rade. La première phase de l'engagement
est terminée. Ayant laissé le soin aux avisos
d'achever les torpilleurs, le Lamotte-Picquet
manoeuvre pour reprendre la vue du mouillage.
L'agonie
du garde-côte cuirassé Dombhuri
A
6h38, il aperçoit, entre les îles et à 4000
m un garde-côtes faisant route au nord-est et l'engage
immédiatement avec ses 155. C'est le Dombhuri.
Celui-ci fait tête, évolue sans arrêt avec
une vitesse de giration très grande et essaie de dérégler
le tir des français en se cachant derrière les
îles. Son propre tir est lent mais précis en direction.
Le
Lamotte-Picquet évolue
constamment à 27 noeuds, ses hélices brassent
la vase mais sans pénétrer dans le fond inférieur
à 10 mètres. Il serait plus que téméraire
pour lui de continuer à évoluer sur des petits
fonds totalement inconnus. Le commandant Bérenger décide
donc, à contre-coeur, de s'éloigner de son adversaire
en revenant vers l'ouest. Le Dombhuri, sur lequel plusieurs
incendies se sont déclarés, fait route
au sud-ouest pour se cacher derrière les îlots
mais, chaque fois qu'il apparaît dans un créneau,
le Lamotte-Picquet reprend
le tir.
A
7h15, les avisos ouvrent le feu à leur tour sur le Dombhuri
et le touchent à plusieurs reprises. Le Lamotte-Picquet
voulant les soutenir contre la riposte dangereuse du garde-côte
se place entre eux et ce dernier, et reprend son tir à
grand débit pendant un quart d'heure d'affilée.
Trois
incendies au moins dévorent le Dombhuri qui
ne tire plus qu'avec sa tourelle avant, manifestement maniée
à bras et seulement quand les mouvements du bâtiment
la mettent en direction. Il est gîté sur tribord
avec son château en feu et son arrière
est enfoncé, l'avant relevé.
A
7h50, le CV Bérenger ordonne aux avisos de se retirer
et le Lamotte-Picquet cesse
lui-même le feu à 8h00. Il est en effet impossible
de continuer à poursuivre le Dombhuri, blessé
à mort, dans les eaux peu profondes où il s'est
réfugié, derrière les îlots. En outre,
il est à prévoir que les attaques aériennes
ne vont pas tarder à se produire.
Tout
le monde attend la riposte aérienne
A
8h30, tous les bâtiments du groupe sont en mer libre vers
l'ouest. Tout le monde attend maintenant la riposte aérienne
en s'étonnant qu'elle n'ait pas encore eu lieu. Le groupe
navigue perpendiculairement à la côte. Les avisos,
placés sous le commandement du Dumont
d'Urville, marchent à 13 noeuds. Le Lamotte-Picquet,
placé comme un bâtiment hors rang, navigue à
la vue du groupe.
A
8h58, un biplan Vought Corsair attaque le Lamotte-Picquet
dans le soleil. Une bombe tombe par le travers de bâbord
milieu. Une autre la suit, plus loin, sur l'arrière,
tandis qu'un deuxième appareil largue les siennes à
200 m du bord. Plusieurs éclats ont été
trouvés sur le Lamotte-Picquet,
mais après le combat et largement avant l'attaque aérienne.
Ils provenaient probablement des obus CA (contre-avions) tirés
par les torpilleurs siamois quand, surpris par notre arrivée,
ces derniers ont tourné leurs pièces de l'hydravion
français vers le croiseur (en oubliant peut être
de modifier les munitions utilisées)
A
9h00, une bombe manque l'Amiral Charner de 500 m.
Jusqu'à 9h40, d'autres avions, d'ailleurs peu nombreux,
groupés par deux ou isolés essaient de gagner
des positions d'attaque dans le soleil ou sont aperçus,
survolant les bâtiments à 3000 m d'altitude.
Chaque
fois, la vigueur de la défense anti-aérienne
de tous les bâtiments, 75 et mitrailleuses de 13.2, les
décourage et les force à s'éloigner
rapidement ou à renoncer à leur piqué,
parfois en se débarrassant de leurs bombes à plusieurs
milliers de mètres de nos bateaux.
Bilan
et enseignements
Le
bilan est particulièrement lourd côté siamois.
Les torpilleurs n°32 Chomburi et n°33 Songkla
ont été coulés. Le garde-côte Dombhuri
a chaviré au large du feu de Lem Ngoz. Les pertes
en hommes sont effroyables, sur les quatre premiers bâtiments,
vraisemblablement 300 hommes, dont plus de 80 sur les torpilleurs.
Seuls 82 survivants seront sauvés. Au total, c'est un
quart de la flotte de guerre siamoise qui a été
détruit ou mis hors de combat pour longtemps. Du
côté français, on ne déplore
aucune perte, aussi bien en hommes qu'en matériel.
Qu'est-ce
qui peut expliquer une victoire aussi éclatante ? Car,
contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'effet
de surprise de l'attaque française a été
raté. Il semble que des veilleurs installés sur
les îles aient signalé la présence de notre
flotte. De plus l'hydravion Loire a mis en alerte tous les bâtiments
siamois au mouillage. Trois facteurs, je pense, ont contribué
à la vistoire de Koh Chang :
Un
brillant stratège, le CV Bérenger : Placé
devant un choix tentant, il résiste à la tentation
d'essayer de détruire en deux attaques séparées
la flotte siamoise. Lorsque l'on analyse de près l'ensemble
des choix du commandant, on se rend compte combien sa lucidité
est grande. Le bon sens et la simplicité conduisent son
action, ce qui dans l'urgence des combats est loin d'être
toujours évident.
La
qualité et l'entraînement des équipages
: De notre côté, les bâtiments sont servis
par des équipages enthousiastes et parfaitement entraînés.
Malgré l'âge certain du matériel, ils firent
preuve jusqu'à la fin de l'engagement d'un sens manoeuvrier
et d'un esprit de combativité dignes d'éloges.
La
chance : Si les premiers obus tirés par le Lamotte-Picquet
n'avaient pas détruit le poste de guet terrestre relié
téléphoniquement à la base ennemie, l'intervention
de l'aviation siamoise aurait eu sans doute lieu plus tôt
et, en plein combat naval, ceci aurait été extrêmement
gênant pour nos bâtiments. On sait également
aujourd'hui que le Dombhuri encaissa dès la première
phase du combat un coup heureux du Lamotte-Picquet
qui tua son Commandant et l'officier de manoeuvre à la
passerelle. A noter que la veille, avait eu lieu la relève
du groupe Ayuthia (un garde-côte et trois torpilleurs)
par le groupe Dombhuri (même composition). A un
jour près, notre escadre aurait pu tomber sur deux garde-côtes
et six torpilleurs, ce qui lui aurait sensiblement compliqué
la tâche.
La
France ne put profiter des résultats de la bataille de
Koh Chang. Le Japon, le 20 janvier 1941, décidait de
mettre fin aux hostilités entre Français et Siamois
en proposant ses "bons offices aux deux belligérants".
L'amiral dut accepter la cessation des hostilités sous
la menace d'un ultimatum japonais auquel l'Indochine française
était incapable de faire face militairement. Après
de difficiles discussions les diplomates français devaient
admettre, le 11 mars, les termes d'un compromis peu avantageux
pour la France.
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A
lire : Campagnes lointaines, dans les replis du Dragon
- Carnet de bord du croiseur Lamotte-Picquet |
par
le CC (H) Jean Sommet
En janvier 1941, Jean Sommet est officier canonnier
à bord du Lamotte-Picquet pendant
la bataille de Koh-Chang. Début 1942, il
embarque sur l'Amiral Charner à bord
duquel, il va participer à de multiples missions,
en butte au menace des amis d'hier (les Anglos-saxons)
et des faux amis du moment (les Japonais). Emprisonné
dans un camp japonais en mars 1945, il n'en sort
qu'en septembre, après cinq années
de vie en Indochine et 23 ans de service dans la
Marine, qu'il quitte à son retour.
Le combat de Koh Chang est décrit dans cet
ouvrage avec une grande précision par un
de ses principaux acteurs.
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151
pages - Edition L'Atelier - 1998 - ISBN 978 28442
40019
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Réalisation
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d'utilisation.
Remerciements : contre-amiral Romé, Mme Renée
Morel, M. Jean Sommet, Eric Pasquette.