Jean Cras

(d'après un article d'Armelle Datin - Armée d'aujourd'hui 1998)

Emile, Jean, Paul, Cras naît à Brest le 22 mai 1879. Son père, médecin de marine, et sa mère partagent la même passion pour la musique qu'ils transmettent à leurs enfants. Excellent pianiste, Jean Cras commence à composer précocement puisqu'il signe sa première oeuvre à l'âge de treize ans ; brillant élève, il intègre l'Ecole navale à dix-sept. Dès lors, il peut se livrer à ses deux passions, en conciliant sa vocation de marin et sa sensibilité de musicien.

Tour à tour affecté sur des cuirassés et des avisos, il sera excellement bien noté par ses supérieurs qui apprécient chez lui un esprit inventif et sans cesse en éveil. Sur le contre-torpilleur Cassini, il s'intéresse aux signaux et met au point un combinateur électrique qui lui vaut un témoignage de satisfaction. Professeur d'architecture navale à l'Ecole navale, commandant un petit torpilleur à Brest, puis affecté aux flotilles de la 1ère armée navale, Jean Cras est qualifié d'officier de premier ordre par l'amiral Boué de Lapeyrère dont il deviendra l'aide de camp après avoir été breveté d'état-major. Commandant le torpilleur Commandant Bory en 1916. Il sauve un matelot de la noyade après une explosion et se distingue encore tout au long de la guerre, en Adriatique. Il commande la 1ère escadrille de patrouille en Manche en 1918, puis en 1921 un contre-torpilleur ex-allemand, l'amiral Senès. A l'issue de l'école de guerre puis de l'Ecole des hautes études navales, il est nommé capitaine de vaisseau et commande le croiseur Lamotte-piquet puis le cuirassé Provence. Il accède aux étoiles en 1931 et devient major général à Brest, où il s'éteindra le 14 septembre 1932, emporté en trois jours par une maladie foudroyante.

Tout en poursuivant sa carrière militaire, Jean Cras ne s'éloigne pour autant jamais de la musique. Il fait embarquer son piano droit sur chacun des navires à bord desquels il sert car "composer, c'est pour (lui) obéir à une volonté supérieure qui me dicte ses volontés...". Marin et musicien, Jean Cras a toujours été l'un et l'autre. Une profonde amitié le liera dès 1900 à Henri Duparc, compositeur disciple de César Franck, qui le consacrera "fils de (son) âme". Mélodiste de talent, il excelle dans la composition de musique de chambre, "cette forme épurée qui est devenue pour (lui) la forme essentielle, bien qu'(il n'ait) pas dédaigné la symphonie". Par la richesse, la précision avec laquelle il manie le contrepoint, Jean Cras réussit en effet à conférer un souffle véritablement symphonique à certaines de ses pièces de musique de chambre.

Son Quintette, composé en 1928 à bord du Provence, présence des harmonies, une intensité que l'on retrouve dans la musique française de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. La fluidité de la harpe, la délicatesse de la flûte ne sont pas sans rappeler Debussy notamment - est-ce bien un hazard? - La mer. Et d'autres passages pourraient avoir puisé leur vitalité, leur puissance évocatrice aux sources des poèmes symphoniques de Saint-Saëns. Le Trio écrit sur le Lamotte-Piquet, présente, quant à lui, une audacieuse alternance de mouvements d'une facture trés moderne, à la rythmique martelée auxquels succède des passages plus mystiques, d'influence nettement baroque.

C'est avec une sensibilité rare que Jean Cras nous livre ses émotions de marin ; ça et là, à la manière impressioniste affleure une réminisence ibérique, ou une parenthèse extrême orientale. Certains titres de ces oeuvres annoncent sans ambigüité des souvenirs de quart en passerelle (Au fil de l'eau, 1921 ; Journal de bord, 1927 ; Soirs sur la mer, 1929), ou d'escales (Paysages, 1924). Jean Cras, compositeur, atteindra la consécration lorsque son opéra Polyphème sera couronné par la ville de Paris en 1921 et représenté à l'Opéra comique en décembre 1922.

Aux mélomanes, Jean Cras a légué une oeuvre inspirée. Aux marins, il a laissé un outil pratique, la règle Cras qui permet au navigateur de tracer des routes et de faire le point à la lumière de la passerelle ou du central opération à condition, dans le dédale de graduations inscrites, d'utiliser les chiffres qui sont "droits pour l'oeil". Si Jean Cras devait prendre la place qui lui revient dans un dictionnaire, reconnaissance dont il a toujours été injustement écarté, il serait difficile au lexicographe de la cataloguer : officier de marine ou compositeur ? Sans doute serait-il fonder d'associer les deux car Jean Cras fut indissociablement l'un et l'autre.

Pour en savoir plus :
Retrouvez les oeuvres musicales de Jean Cras sur le site d'Abeilles Musique