Bombardements et soutiens de feu (7-10 juin 1944)

Le 7 juin, le Montcalm tira, sur renseignement du SFCP dès 07h48, détruisant complètement les batteries qu'il avait engagées, aux environs de Mosles. Il tire de 12h03 à 13h03, également sur des concentrations de troupes près de Formigny et sur un canon entre Colleville et Formigny puis reprend son tir à 14h02, 14h46 et 14h56 (sur les objectifs précédents) ; et à 16h20 puis 19h30, grâce à un avion observateur, il peut engager à 19 500 mètres le hais de Moley où sont concentrées des troupes ennemies.

Le Georges Leygues tire beaucoup moins, en raison de la carence de son aide-aviateur. Il peut observer dans le détail la construction du port artificiel de Saint-Laurent. Vers 19h30, un autre avion est attribué au croiseur amiral qui à 19h56, puis à 20h13 et enfin à 20h32 (avec l'avion de relève), va pilonner des troupes et des véhicules à la lisière sud-est du bois de Moley par un tir particulièrement efficace.

Somme toute, la journée n'a pas été excellente. La nuit venue, les alertes aériennes se succèdent. Le 8 juin, à 01h10, un chapelet de 3 bombes tombe à 2000 mètres dans l'ouest du Georges Leygues et à 01h22 un avion est aperçu en flammes dans le nord. Cependant les nouvelles de la région d'Isigny-Carentan sont médiocres; les troupes débarquées sont en difficulté et les 2 croiseurs français doivent rejoindre le Texas pour soutenir les attaques à terre. L'appareillage a lieu dans les 10 minutes qui suivent, au milieu de la rade encombrée de bâtiments au mouillage ou en marche. cargos. LST, LCT, LSI.

A peine, le Georges Leygues s'est-il rapproché du Texas que son SFCP, muet jusqu'alors, lui désigne, à 6h20, un objectif à battre. Le Georges Leygues doit brusquement faire demi-tour; mais n'ayant ,ni route, ni vitesse stable, il lui est difficile d'ouvrir le feu ; regagner son précédent mouillage aurait l'avantage de lui restituer tous les éléments de tir déjà calculés en fonction de ce point. Mais le SFCP réitère ses appels et le croiseur à 06h55 ouvre le feu, en route, à 7 nœuds, contre des véhicules, et des troupes sur la route nationale, de Caen à Bayeux à un kilomètre à l'ouest de Tour-en-Bessin Malgré l'interruption des salves, due au fait que le Georges Leygues, défilant à contre bord de l'Arkansas voit s'interposer entre ses canons et la terre les massives superstructures du cuirassé, le tir reprend avec succès jusqu'à 07 h 08; 3 minutes avant le mouillage, la route nationale a été entièrement balayée. Les troupes allemandes, situées à 300 mètres dans l'ouest, sont à leur tour pilonnées à 07h12 et 19 obus tombent au but.

Le Montcalm, temporairement séparé de son coéquipier, n'a plus de SFCP; son avion observateur, avare d'objectifs, ne lui en désigne qu'un, vers 07h30, tout près de Castilly où se concentrent des troupes, des camions et des véhicules; l'un d'entre eux est détruit. Au cours de la matinée, seul le Georges Leygues va donc tirer, prenant sa revanche de la veille. Son avion lui désigne, à 09h40, des troupes retranchées dans un fossé antichars à 800 mètres au nord est de Tour-en-Bessin ; les 152 font but à la 2e salve et 36 obus pulvérisent la position. A 10h50, un autre objectif est engagé avec succès: un pont et un croisement de routes où passent des engins motorisés à 500 mètres au nord-nord est de Tour-en-Bessin. La présence du Georges Leygues s'avère donc nécessaire et utile aux côtés de l'Arkansas; aussi l'amiral Bryant rapporte-t-il l'ordre, toujours valable; de rejoindre le Texas. Qu'y ferait d'ailleurs le Georges Leygues, alors que le Montcalm, qui s'y trouve, ne tire pas ou bien se voit refuser l'autorisation d'ouvrir le feu, quand il désire engager une batterie antiaérienne en action, vers 12h50. Au surplus, le coin est fort dangereux, le Montcalm voit, à 13h09, un navire exploser et couler en moins d'une minute. Le Georges Leygues continue donc ses tirs d'appui, en étroite liaison avec son SFCP, et vers 13h30 tire plusieurs salves en direction d'un pont et d'un croisement de routes encombrés d'infanterie ennemie, à 500 mètres sud-sud-ouest de Tour-en-Bessin.

Un peu plus tard, vers 15h20, sur désignation du SFCP et sur observation de l'avion, le croiseur ouvre le feu sur un nid de mitrailleuses occupant le côté sud du village de Cussy. De son côté, le Montcalm sort de son inaction forcé vers 15h00 et disperse de ses obus des chars sur une route à 21 500 mètres de distance. Le soir tombe, l'activité des transports ne faiblit pas et vers 19h45, le Georges Leygues en compte 84 entre Port-en-Bessin et la pointe de la Percée. Mais les tirs contre la terre sont terminés pour la journée. Il ne reste plus qu'à changer de mouillage, pour pallier le danger d'avoir été repéré le jour et d'être atteint, la nuit, par une attaque aérienne.

En effet, à 22h30 le nouveau mouillage est pris et vers minuit apparaissent des avions allemands. La réaction de la DCA se fait de plus en plus précise. Le Montcalm compte 2 avions en flammes. Le Georges Leygues en dénombre 5 dans son secteur. Mais la nuit est décidément agitée. Des E-Boats sont signalés au large du Havre à 00h40, et à 02h40, 2 LST se font torpiller; on signale des torpilleurs au large du cap d'Antifer. Pendant ce temps, le SFCP réclame de nouveaux tirs du Georges Leygues à 00h18 sur un bataillon d'infanterie occupant une crête à 2,8 km au sud-ouest de Tour-en-Bessin; à 01h16 sur le PC de ce bataillon; à 04h46 sur le même objectif.

Mais les troupes allemandes, sans doute renforcées, passent à la contre attaque, appuyée par des chars, à 1 800 mètres au sud de Tour-en-Bessin. Le SFCP réclame des tirs de son croiseur qui balaie avec succès la zone dangereuse de 05 h 55 à 06 h 03. Tous ces tirs ont eu lieu du mouillage nocturne (à 11 200 m dans le 359 du clocher de Port en Bessin. Mais, à l'aube, trois dragueurs s'emploieront dès 06h25 à préparer un chenal pour permettre à l'Arkansas et au Georges Leygues de regagner leur mouillage de jour. A 08h00, les 2 bâtiments sont ancrés à peu près à leur ancienne place et à 08h30 le Montcalm libéré par le Texas, qui se ravitaille en munitions, vient s'interposer entre les deux et reconstituer le groupe. Ce sont ses 152 qui succéderont à ceux du croiseur amiral pour les tirs de la journée, après un dernier appel du SFCP à 10h51, qui avait fait arroser un état-major de régiment situé près du carrefour et d'un pont à 3 kilomètres est-nord-est de Moley, vers Le Breuil.

Le Georges Leygues envoie à terre une baleinière qui va rendre visite à Port-en-Bessin et faire arborer le pavillon français au clocher. Peu d'objectifs au demeurant peuvent être signalés; les troupes sont tout à fait au contact de l'ennemi, les SFCP muets, les avions mal équipés pour observer avec précision. A 17h 50 un SFCP et un avion font tirer le Montcalm sur une batterie mobile aux environs de Ruberey; mais la batterie riposte violemment et son tir antiaérien, très précis, gêne l'avion observateur à un tel point que les liaisons sont très difficiles et que le Montcalm doit suspendre le feu et l'avion rentrer à sa base. A 19 h 23, dernière manifestation des 152, en tir de soutien, sur demande du SFCP, à 1 kilomètre nord-nord-ouest de Saon : mais l'avance rapide des troupes ne permet pas au SFCP de fournir des objectifs. La nuit approche d'ailleurs et des alertes aériennes débutent tôt vers 18 heures avec menace signalée de bombes planantes. II est temps de changer de mouillage; à 21h25, c'est chose faite. Mais déjà 5 Focke-Wulf sont sortis des nuages au-dessus du Montcalm et ont attaqué des caboteurs.

A 21h40, le Georges Leygues tire sur un avion sans doute ami, mais non identifié comme tel. A 22h10, la menace des bombes planantes se fait plus précise et il faut émettre, pour brouiller les émissions de contrôle. Un cargo brûle dans la zone anglaise; c'est dans ce secteur que l'attaque se développe et l'on signale à peu près au même instant (23h05) 3 avions en flammes. L'alerte se termine à 00h22; mais la nuit est ponctuée de tirs de DCA à terre, de violentes explosions, provenant d'un bombardement, d'incessants passages d'avions, tournant parfois au-dessus des croiseurs qui, une fois, dans l'ignorance de leur nationalité, les engagent. (Le Georges Leygues à 05 h 00). En fait, il s'agit, cette fois, de chasseurs et de bombardiers alliés.

La journée du 10 juin sera la dernière des tirs contre la terre; les troupes alliées ayant, dans ce secteur, avancé dans l'intérieur au-delà de la portée des 152. Mais pour le Georges Leygues, cette dernière journée comportera une recrudescence d'activité. Sur la demande du SFCP, c'est d'abord, à 09h50, le balayage d'un croisement de route et d'une concentration de troupes dans le bois de Vernay à 1 kilomètre nord-nord-ouest de Saint-Paul-du-Vernay. C'est cette région que va battre le croiseur par intermittences jusque tard dans la soirée; en effet, le bois de Vernay semble particulièrement bien disposé pour camoufler des troupes ou entreposer des munitions. A 10h05, il engage également une concentration de troupes et de véhicules sur une route à 1,50 km au nord de Saint-Paul, à 10h12 des dépôts de munitions dans le bois; à 15h18, des transports sur les routes qui longent le bois et sur celles qui mènent de Subies à Saint-Paul-du Vernay et de Dodigny à Saint-Paul. Enfin, à 19h17, à 4 kilomètres au nord-est de Saint-Paul, dans le bois même, 82 obus sont expédiés sur des transports ennemis.

Le succès de ces tirs est remarquable, 2 véhicules, voitures blindées avec remorques, dépôt de munitions et quelques hommes hors de combat" rapporte le SFCP le lendemain, après l'occupation de la position par les troupes alliées. Le Montcalm tire aussi, pour la dernière fois, mais seulement vers 15h24, sur observation aérienne. L'objectif, assez mal désigné, se trouvait vraisemblablement au centre de la forêt de Cerisy, non loin de la route de Granville à Bayeux, où se massaient des troupes. La distance est d'ailleurs trop grande pour les 152 des croiseurs français et les neuf 203 du croiseur américain Augusta doivent prendre la relève.

On accorde un dernier tir vers 18 h 50 au Georges Leygues pour parachever son œuvre dans le bois de Vernay avec le succès qu'on a vu. Les derniers coups de 152 sont tirés à 20 h 00. Le Georges Leygues, en 5 jours, a tiré plus de 1000 obus et le Montcalm 843. S'ils vont demeurer militairement inactifs pendant quatre jours, se bornant à faire intervenir leur DCA chaque nuit, à l'apparition des avions allemands, en revanche ils sont en contact direct et suivi avec la terre de France ce qui n'est pas sans importance.

Le 10 juin, dernier jour des tirs de bombardement, la population l'a bien exprimé en faisant porter sur le Georges Leygues par 4 chalutiers de Port-en- Bessin de magnifiques gerbes de roses. Comme chaque nuit, celle du 10 au 11 juin est peuplée des tirs de la DCA, des explosions des bombes. Le ciel est éclairé par un combat aérien et vers 23 h 25 un avion descend en flammes. De son côté, la DCA alliée détruit 3 avions allemands ; mais la DCA allemande tire aussi de terre ; il est probable que les avions ennemis, cette fois, ne sont pas majorité dans le ciel nocturne. Cependant la menace des bombes planantes se précise; on s'active à brouiller les ondes sur lesquelles l'ennemi les dirige, lorsqu'à 03h40 les bombardiers ennemis reviennent, le Georges Leygues voit quelques minutes plus tard une bombe à 1 500 mètres à tribord. Mais c'est le Montcalm qui semble particulièrement visé ; 6 à 8 bombes tombent par tribord, les premières à 300 mètres sur l'arrière les dernières à 200 mètres, par le travers de la passerelle. Le 12, l'amiral Bryant vient à bord du Georges Leygues rendre visite à l'amiral Jaujard et y reste pour assister à un déjeuner cordial, pendant que le monitor Roberts, ouvre le feu avec ses 380 devant Arromanches. La journée se termine avec de courtes alertes aériennes.

Le 13, le temps se couvre, avec un vent froid et même apparition de crachin vers 14 h 00. C'est aussi le moment du départ. L'amiral ordonne de rallier les cuirassés en zone de soutien ouest et, à 11 h 00, les deux croiseurs français sont mouillés en face de Grandcamp à 2 et 1 milles de la pointe de la Percée, le Montcalm entre les 2 cuirassés américains Texas et Arkansas, le Georges Leygues entre le Texas et le croiseur anglais Glasgow. Peut-être y aura-t-il une occasion d'intervenir dans cette région où la progression des alliés a été moins rapide; en fait, seul l'Arkansas ouvre le feu (il se fait d'ailleurs bientôt remplacer par le Nevada). Les croiseurs français se bornent à être témoins de l'essai, par une trentaine de chasseurs Thunderbolt, d'un aérodrome improvisé, à 500 mètres de la falaise au sud de la pointe de la Percée, de même que, le matin, ils avaient pu constater l'état d'avancement des travaux de construction du port artificiel de Saint-Laurent, où de nombreux cargos sont déjà mouillés.

La journée du 14 juin se passe sans le moindre incident; simplement la dernière nuit que le groupe Jaujard passe en vue des côtes normandes, est encore remplie d'avions et d'explosions de bombes. Un avion laisse tomber un projectile sur l'arrière du Montcalm et le Georges Leygues mieux placé (parce que plus près) le signale comme une bombe, ayant explosée à 850 mètres de lui. Le reste de la nuit est illuminé par des fusées éclairantes lâchées par les avions ennemis vraisemblablement pour photographier les bâtiments au mouillage. L'ordre d'appareillage pour Milford Haven, arrivé une première fois le 14 à 19h00 puis annulé à 00h15, arrive derechef le 15 à 19h00 et le groupe Georges Leygues s'ébranle vers 20h00 à 23 nœuds. par un chenal dragué où se pressent de nombreux cargos, DCT, LST, LSI etc.

Au cours de cette traversée, sans encombre, malgré des risques de collision qui forcent à diminuer la vitesse jusqu'à 12 nœuds, ou malgré des mines flottantes dont une est évitée de justesse par le bâtiment amiral, les deux croiseurs ont la satisfaction de rencontrer, plusieurs corvettes françaises, en opération d'escorte de convoi, la Roselys le 15 au soir, vers 22h45 et deux autres le 16 vers 11h, parmi lesquelles le Georges Leygues identifie le Commandant-d'Estienne d'Orves.

A 17h30 le 16, les croiseurs français prennent leur coffre sur rade de Milford Haven où ils resteront jusqu'au 11 juillet pour regarnir leurs soutes à munitions, se ravitailler en mazout et en approvisionnements avant de rejoindre la Méditerranée pour participer au débarquement de Provence.