Un passage dans la Royale

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capu.rossu
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Un passage dans la Royale

Message par capu.rossu »

Bonjour,

Mon Père était un ancien de la Mar Mar au sein de laquelle il a terminé une carrière de quarante ans comme bosco à la Fabre-SGTM.
En 1931, il est appelé au 5ème Dépôt de Toulon pour faire son service militaire alors qu'il était matelot à bord du Sainte Marguerite II de l'Armement Daher.
Et là, oh surprise, il est, comme les autres inscrits maritimes de sa classe, envoyé à Lorient pour intégrer l'Ecole des Fusiliers Marins !
A Lorient, le gag continue quand un officier lui demande s'il a des notions de musique et s'il sait jouer d'un instrument quelconque. A la suite des deux réponses négatives de mon Père, l'officier conclut : "Parfait ! vous serez clairon !".
Et voilà mon Père devenu mille-pattes biniou.
Fin août 1939, la situation internationale est très tendue. Le 28, l'Amirauté fait retenir dans les ports métropolitains les bâtiments inscrits sur le plan de réquisition. A cette date, mon Père est second-maître pointeur sur le cargo mixte Ipanema de la SGTM. Du fait de sa propulsion turbo-électrique, l'Ipanema a été inscrit sur cette liste comme "base flottante de sous-marins" sous le repère X 43. Il est capable d'alimenter en électricité un groupe de huit sous-marins soit deux divisions.
Ce matin là ou le lendemain 29, deux gendarmes maritimes attendent l'équipage au pied de la coupée. Tous se voient remettre un fascicule de mobilisation, qu'ils devront conserver en permanence sur eux, et les classant dans la catégories "Affectés Spéciaux".

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Le Reich envahit la Pologne le 1er septembre et refuse de s'en retirer lorsque la France et la Grande Bretagne le somment de le faire.
Le 2 septembre, le Gouvernement Français décrète la Mobilisation Générale pour le 3 et le 3 au matin deux gendarmes maritimes sont de nouveau au pied de la coupée avec de nouveaux ordres de mobilisation. A l'exception de quelques hommes trop vieux ou trop jeunes, les autres sont divisés en trois groupes : 1) ceux qui sont maintenus comme affectés spéciaux pour permettre à la SGTM de compléter les équipages des navires non requis sur lesquels des membres d'équipage ont été mobilisé, 2) ceux qui sont mobilisés sur d(autres unités de la Marine, 3) ceux qui sont mobilisés sur place. Mon Père fait partie de ce dernier groupe.

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L'Ipanema est conduit à Brest par son équipage civil qui est réquisitionné jusqu'au 12 septembre à 24h00. La ventilation prévue ci-dessus se fait le 13.

@+
Alain
douzef
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Re: Un passage dans la Royale

Message par douzef »

Bonjour,
Merci pour ce partage intéressant.
Cordialement
FD
SL
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Inscription : 21 janv. 2007, 16:50

Re: Un passage dans la Royale

Message par SL »

Bonsoir,
Merci pour ce témoignage sur une époque et des pratiques tombées dans l'oubli. Malgré les déconvenues du début de service militaire, je suppose que votre père est resté très attaché à la Marine nationale, en particulier en suivant des formations de réserviste puisque qu'on le retrouve en 1939 comme second maitre pointeur.
Cordialement SL
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capu.rossu
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Re: Un passage dans la Royale

Message par capu.rossu »

Bonsoir SL,

Lors de sa mobilisation, mon Père était toujours "Matelot de 2ème Classe Clairon" comme cela est porté sur ses fascicule de mobilisation. Bien après avoir quitté la navigation, cette conception "particulière" de l'exploitation des compétences le faisait toujours râler.
Pour ma part, technicien PTT, lors de mon service, je n'ai dû qu'à des oreilles peu performantes le fait d'être opérateur faisceaux hertziens, un des facettes de mon métier, car le capitaine de la compagnie d'instruction était "polarisé" sur les opérateurs morse. Il y a eu respect des compétences car il s'est avéré que je ne savais pas reconnaître les signaux à la cadence élevée et règlementaire en vigueur dans les Régiments de Transmissions.

Second-maître pointeur dans la Mar Mar est à la fois un grade, second-maître, et une fonction, pointeur.
Lors du chargement ou du déchargement dont il supervise les opérations, il pointe sur le connaissement de charge (liste de toutes les marchandises établie par les consignataires, avec leurs caractéristiques d'emport : nombre de colis, taille, poids, noms de l'expéditeur et du destinataire) les palanquées pour vérifier que tout a bien été chargé ou que ce qui est débarqué devait l'être sans erreur (exemple ne pas débarquer à Fort de France des colis pour Pointe à Pitre). Il pointe aussi les incidents possibles qui peuvent entraîner de dégâts. Cette partie du pointage est reprise par le commandant dans son rapport de mer affirmé au tribunal de commerce ou au consulat pour les futurs règlements par les assurances.
Avant le début des opérations de chargement, le second-capitaine et le maître d'équipage (bosco) étudie ce connaissement pour répartir les marchandises dans les diverses cales pour les regroupe en fonction des différents ports et aussi pour que l'assiette du navire chargé aux marques demeure horizontale dans les deux dimensions : longueur et largeur. Prendre la mer avec un gite ou une pointe n'est pas gage de sécurité si le navire rencontre du mauvais temps.
A propos de cette "surveillance" de la cargaison, mon Père nous a rapporté une anecdote qui avait bien divertit l'équipage. Lors d'un voyage sur les Antilles, le Cavalaire, un liberty-ship, avait embarqué des pneus car pratiquement tout ce qui était nécessaire à la vie courant était importé de métropole. Ces pneus étaient regroupés par vingtaines et assurés par une chaîne avec cadenas. Le représentant du consignataire avait sur le quai pointé x lots de pneus neufs. Le pointeur avait fait de même sur le pont au moment où les palanquées passaient par l'ouverture de la cale. A Fort de France ou Pointe à Pitre, je ne me souviens plus du port, lors du déchargement, le pointeur a compté le même nombre de lots de pneus neufs. Le représentant du consignataire local a fait de même tout en vérifiant que c'était bien des pneus neufs avant que les dockers ne les enferment dans un hangar. Au soir, tout était donc normal. Mais le lendemain quand le destinataire a voulu récupérer les pneus qui venaient de lui être livrés, quelle ne fut pas sa surprise en découvrant qu'il était "l'heureux" propriétaire de lots de pneus usagés toujours enchaînés et cadenassés. Furieux, on le serait à moins, notre homme est venu se plaindre au commandant du Cavalaire qu'on lui avait changé ses pneus neufs contre des usagers. Celui-ci la poliment renvoyé à terre en lui montrant le récépissé des chargeurs attestant la délivrance de la marchandise comme conforme au connaissement et en bon état et lui expliquant que s'il était responsable de ce qui pouvait survenir à bord de son navire, il ne l'était pas de ce qui pouvait se passer la nuit dans les hangars du port.

@+
Alain
SL
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Re: Un passage dans la Royale

Message par SL »

Bonjour Alain,
Merci pour cette réponse à une interrogation trouvant sa source dans mon ignorance totale de ce qui peut se passer dans la Marine marchande.
J'ai beaucoup appris à la lecture de ce message mais le mystère de la transformation des pneus neufs en pneus usagés demeure :P
Encore merci, cordialement
Serge
ALAIN
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Re: Un passage dans la Royale

Message par ALAIN »

Merci Alain, intéressants ces anecdotes pour un terrien comme moi. :shock:

Cordialement

Alain
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