L'Attaque britannique sur Tarente, novembre 1940

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ALAIN
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L'Attaque britannique sur Tarente, novembre 1940

Message par ALAIN »

La Royal Navy, en la personne du commandant en chef de la Mediterranean Fleet, l'amiral Andrew Cunningham, décida de préparer une opération destinée à couler ou endommager les unités navales italiennes basées à Tarente. Elle perfectionna un plan d'attaque nocturne avec des avions torpilleurs Fairey Sworfish. Le plan était très risqué et reposait essentiellement sur le facteur surprise. Les porte-avions d'où devaient décoller les avions accomplissant la mission devaient se rapprocher à moins de 130 nautiques de la côte italienne, au risque d'être découverts par l'ennemi. En outre, la rade devait être illuminée en recourant à des avions illuminateurs, pendant que les avions-torpilleurs volaient au ras de l'eau, pour éviter les batteries anti-aériennes et pour éviter que les torpilles ne s'enfoncent dans la vase de la rade. En fait, si les navires italiens avaient étendu les couvertures de fumigènes, la mission aurait certainement été un échec.

L'opération débuta le 6 novembre1940 : les navires de ligne Malaya, Ramillies, Valiant et Warspite, le porte-avions Illustrious, les croiseurs Gloucester et York ainsi que 13 destroyers, partirent d'Alexandrie vers Malte, dans les alentours de laquelle se trouvait le porte-avions Eagle. Le 8 novembre, alarmé par ces manœuvres dans la Mediterranée, le Commandement suprême de la Marine italienne envoya une unité de contre-torpilleurs, torpilleurs et sous-marins en patrouille dans le canal de Sicile et fit rassembler dans la base de Tarente la plus grosse partie de la force navale italienne. Les navires britanniques atteignirent Malte dans la journée du 10 novembre et le jour suivant le porte-avions Illustrious commença à se diriger vers le point de rendez-vous pour lancer ses avions vers Tarente. Le porte-avions Eagle ne put par contre pas appareiller à cause d'une avarie moteur. Ce contre-temps diminua le nombre d'avions disponibles mais n'empêcha pas l'opération d'avoir lieu.

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Plan de l'attaque britannique sur Tarente

Les avions britanniques effectuèrent des reconnaissances de Tarente jusque dans la soirée du 11 novembre, lorsque la Royal Navy apprit que les cuirassés Andrea Doria, Caio Duilio, Conte di Cavour, Giulio Cesare, Littorio et Vittorio Veneto, les croiseurs lourds Bolzano, Fiume, Gorizia, Pola, Trento, Trieste et Zara, les deux croiseurs légers Luigi Savoia Duca Degli Abruzzi et Giuseppe Garibaldi et plusieurs contre-torpilleurs et torpilleurs s'étaient regroupés dans les deux rades de Tarente. Pour citer l'amiral Andrew Cunningham : « Tous les oiseaux étaient dans le nid ».
87 ballons étaient prévus pour défendre le port, mais les mauvaises conditions climatiques des journées précédentes en avaient arraché 60 et ils n'avaient pas encore pu être remplacés à cause du manque d'hydrogène. Les unités navales étaient protégées par des filets pare-torpilles, mais seulement 4 200 des 8 600 mètres nécessaires pour une défense efficace étaient disposés. Ces filets n'étaient en outre tendus qu'à 10 mètres de profondeur laissant ainsi un espace non protégé entre les filets et le fond marin. L'amiral Inigo Campioni avait en outre demandé à ce que les filets de protection soient placés à une distance permettant aux navires d'appareiller rapidement sans devoir retirer les protections auparavant.

À 20 h 30, les avions de la première vague d'attaque décollèrent du porte-avions Illustrious. Ils arrivèrent sur l'objectif quelques minutes avant 23 h 0 et furent accueillis par un puissant tir de barrage. Deux feux de bengale furent lancés pour illuminer le profil des cibles, pendant que 6 avions-torpilleurs Fairey Swordfish descendaient à bonne hauteur pour torpiller. Un premier avion, qui allait être abattu, lâcha une torpille sur le Conte di Cavour, qui lui déchira le flanc gauche, deux autres visèrent l' Andrea Doria, sans parvenir à le toucher. En même temps, 4 autres avions-torpilleurs endommagèrent les contre-torpilleurs Libeccio et Pessagno et bombardèrent les dépôts de carburant. À 23 h 15, deux avions-torpilleurs attaquèrent en même temps le Littorio, le touchant à bâbord et à tribord, pendant que le dernier Swordfish lançait sans succès une torpille contre le Vittorio Veneto.
À 23 h 20, les avions de la première vague se retirèrent, mais à 23 h 30, arrivèrent ceux de la seconde vague. Malgré le tir de barrage, un premier Swordfish lança une torpille sur le Caio Duilio, le touchant à tribord, pendant que deux avions-torpilleurs touchaient le Littorio. Un autre avion visa le Vittorio Veneto qui fut une nouvelle fois épargné, pendant qu'un second Swordfish était abattu alors qu'il tentait d'attaquer le Gorizia. Enfin, une dernière attaque endommagea gravement le croiseur Trento. Les derniers avions se replièrent à 0 h 30 le 12 novembre. L'attaque de Tarente avait fait 59 victimes. En 90 minutes, les avions-torpilleurs de la Royal Navy avaient causé des dommages considérables, la moitié de la force navale italienne était hors service.

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Le cuirassé Conte di Cavour coulé lors de l'attaque de Tarente

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Le cuirassé de 35 000 t Littorio est bien endommagé

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Le cuirassé Caio Duilio est lui aussi fortement endommagé


Le résultat de l'incursion démontra surtout combien était erronée la conviction selon laquelle les avions-torpilleurs ne pourraient toucher les navires à l'intérieur des bases, à cause des hauts- fonds, mais surtout, cette attaque marqua un tournant dans les stratégies de guerre maritime, confiant à l'aviation et donc aux porte-avions un rôle essentiel dans les combats futurs. Elle inspira les japonais pour leur attaque de Pearl Harbour

Alain
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Patrick le SCOUARNEC
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Re: L'Attaque britannique sur Tarente, novembre 1940

Message par Patrick le SCOUARNEC »

Bonjour Alain, bonjour à tous.
Notre ami Jean LASSAQUE, ayant toujours des problèmes de connexion avec le Forum, me charge de vous transmettre ce message :



Bonjour Alain
Bonjour à tous
Si vous n'êtes pas rebutés par quelques considérations techniques, voici quelques détails sur les moyens mis en œuvre à Tarente.
La torpille en service dans la Fleet Air Arm était la torpille de 450 mm mk XII avec un cône de combat chargé à 175 kg de TNT (la Tolite des Français). Avec une turbine à air réchauffé, sa portée était de 1 500 yards à grande vitesse (40 nœuds) et de 3 500 yards à petite vitesse (27 nœuds).
Le problème à résoudre pour les attaques aériennes à la torpille en eaux peu profondes est la plongée de l'engin. La profondeur d'immersion de la torpille pendant son parcours peut être ajustée mais
- d'une part, une fois larguée, la torpille prend une pointe négative d'autant plus accentuée que l'altitude de largage de l'avion est élevée ;
- d'autre part la turbine, mise en route par le choc du changement de milieu (c-à-d l'entrée dans l'eau), va la faire plonger d'autant plus profondément que la puissance de la propulsion (fonction de la vitesse sélectionnée) est élevée.
La torpille remonte ensuite à la profondeur d'immersion pré-réglée.
La torpille mk XII plongeait à 5,50 m (18 pieds) en-dessous de sa profondeur d'immersion pour une vitesse réglée à GV mais seulement à 1,80 m (6 pieds) à PV. Donc, en réglant la vitesse sur 27 nœuds et la profondeur à 3,70 m, cette torpille pouvait théoriquement être employée sur des fonds de 5,50 m (18 pieds). Mais pour les grands bâtiments justifiant une attaque à la torpille, une profondeur d'immersion de 3,70 m était insuffisante, l'efficacité de la torpille nécessitant une explosion sous la coque.
Pour les Britanniques, les enseignements de l'attaque du Richelieu sur rade de Dakar en juillet 1940 avaient été vite tirés. L'attaque avait été menée par six avions dont trois avaient des torpilles réglées à 11,50 m (38 pieds) avec mise de feu de proximité destinées à exploser sous la coque, le TE du Richelieu étant estimé entre 8 et 9 mètres. Mais le Richelieu était mouillé sur des fonds d'environ 13 mètres (42 pieds) et la probabilité que ces torpilles s'échouent sur le fond était élevée. Aussi les torpilles des trois autres avions avaient été réglées pour une immersion de 7.30 m (24 pieds) avec mise de feu par contact, celles-ci destinées à exploser contre la coque. En pratique, toutes les torpilles furent perdues sauf une qui causa d'ailleurs de graves avaries.
Pour l'attaque des grands bâtiments, une profondeur d'immersion de 10 mètres au moins était nécessaire mais par rapport aux fonds de 12 mètres de la grande rade de Tarente, la marge de sécurité (10 m + 1,80 m) était trop faible. Il fallait donc réduire la pointe négative des torpilles à leur entrée dans l'eau. Pour cela :
1- l'altitude de largage avait été fixée au minimum de sécurité pour l'avion (30 mètres) ;
2- un plan horizontal supplémentaire avait été ajouté sur l'arrière des empennages des torpilles pour contrer la pointe négative ;
3- Comme ce n'était pas encore suffisant, une bosse cassante d'une vingtaine de mètres avait été installée sur un tambour à friction pour relier l'engin à l'avion. Pendant le parcours aérien de la torpille, la bosse se déroulait en exerçant une contrainte qui retenait le nez de l'engin (limitant encore la pointe négative) et elle cassait en fin de course, peu avant l'entrée dans l'eau.
A noter qu'à Tarente, malgré ces dispositions, plusieurs torpilles ont explosé au contact du fond.
Il se trouve qu'une torpille mk XII pour petits fonds est visible au musée de la RAF à Hendon, dans la banlieue de Londres. Avis aux amateurs :
http://plane-crazy.k-hosting.co.uk/Airc ... aufort.htm
Amicalement
J. Lassaque
ALAIN
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Re: L'Attaque britannique sur Tarente, novembre 1940

Message par ALAIN »

Merci à Jean Lassaque, et merci à Patrick le Scouarnec d'avoir fait le relais; ces considérations techniques sont intéressantes et mettent l'accent sur la difficulté de cette attaque à la torpille dans le port de Tarente, cette attaque a été menée à bien par les britanniques avec le succès que l'on sait, et a inspiré les japonais pour l'attaque de Pearl Harbour.

Cordialement

Alain
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