Novembre 1987 : Deroctage de la passe Sainte-Anne aux Seychelles

Pour le Rhin, sur le chemin du retour vers la Réunion, une escale dont l'évocation fait rêver : les Seychelles. Bien que baptisée escale de routine, cette étape sort du commun. Sa durée d'abord, sept jours pleins, qui laisse deviner qu'il y a de l'ouvrage, peu ordinaire lui aussi. Le gouvernement seychellois a entrepris en 1985 d'importants travaux de dragage d'un chenal d'accès au nouveau port en construction. Les moyens classiques réussissent assez bien dans un terrain facile et la cote recherchée des quatorze mètres est acquise presque partout, presque seulement, car un éperon granitique de taille s'oppose au succès. Masses, pics pneumatiques, rien n'y fait. Doit-on déclarer forfait et perdre l'investissement déjà engagé ? A la suite d'accords passés au plus haut niveau, il a été convenu que la Marine nationale allait aider nos amis seychellois à effacer cet ultime obstacle.

Une première mission exploratoire effectuée en son temps prend les mesures de la chose, trente mètres sur quinze mètres qu'il faudra raboter sur plus d'un mètre, et propose un mode opératoire. En octobre le Rhin reçoit l'ordre de coordonner et de contrôler l'opération de déroctage de la passe Sainte-Anne.

Les moyens sont à la mesure de la tâche, quelques dizaines de charges coupantes, plusieurs quintaux de plastic, des hectomètres de cordeau détonant. Pour mettre en oeuvre ces délicatesses, quatre artistes prêtés par les commandos Trepel et Hubert, des infatigables du palmage, experts parmi les experts, un major hydrographe amoureux de son sondeur décimétrique, des marins et plongeurs seychellois. Une contrainte sérieuse cependant, s'il convient de casser du caillou encore ne faut- il pas ébranler les constructions proches ni même inquiéter la population. Le 19 novembre le Rhin accoste à Port-Victoria. Pendant que les plongeurs regroupent et vérifient le matériel, la coordination se met en place avec les responsables seychellois. Aucune difficulté, nous parlons le même langage, au propre comme au figuré. Les moyens et les hommes sont mis en commun et la direction de l'ensemble volontiers laissée au commandant du Rhin.

Le 20 novembre, premières plongées, premiers soucis. Les courants sont violents et la visibilité sous l'eau réduite. Le balisage est mené à bien et l'emplacement des charges est déterminé, puis chaque jour les pétardages ont lieu : charges coupantes pour forer dans le granit puis charges de destruction dosées en fonction du voisinage. Quelques poissons victimes du progrès iront améliorer l'ordinaire des marins seychellois. Chaque matin sur le pont milieu, on déballe et on assemble de quoi faire frémir la maison Ruggieri, les zodiacs vont faire la police du plan d'eau, certes le quotidien local et la radio ont largement informé la population du dan- ger mais les imprudents sont sourds. Et c'est la ronde des plongeurs du matin au soir, descendre, placer, fixer, relier les charges, remonter, s'éloigner, amorcer, attendre que tout se calme et recommencer trois ou quatre fois par jour.

Le 26 novembre, dernier jour d'escale, un large sourire illumine le visage des terrassiers de la mer, à vue de profondimètre la cote des quatorze mètres est atteinte. Il faut cependant attendre le petit matin pour qu'un ultime levé confirme la précision du résultat. Jeudi 27 novembre, huit heures, en même temps qu'il envoie les couleurs le Rhin largue sa dernière aussière. A petite vitesse il longe son chantier où Katiki, la vedette hydrographique seychelloise, passe et repasse en jetant des ultrasons. En guise de salut retentit dans nos radios : « quatorze mètres et dix centimètres - merci les marins français ». Le 27 novembre midi, l'ile Sainte-Anne, Mahé et les Seychelles s'effacent du radar. Le Rhin remet son tablier de forgeron et ses gants de chirurgien en route vers la Réunion où déjà l'Albatros l'attend.

(CF Martin - Cols Bleus n°1934 mars 1987)


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