Louis Aubert du Petit Thouars de Saint Georges


Louis Aubert du Petit Thouars de Saint-Georges.

Louis-Félix-Edmond-Marie Aubert du Petit Thouars de Saint-Georges est né à Loudun, le 7 février 1882, deuxième fils de Georges-Charles-Henri.

Il se destine tout jeune encore, par goût et par tradition de famille, à la carrière de marin. Une maladie grave contractée à Cannes où il passait l'hiver en 1894 avec ses parents, le conduit à toute extrémité. Résistant à l'attaque du mal, il se rétablit malgré toute espérance et reprend ses études dans le sein de sa famille. Sous la direction de l'abbé Lombard, devenu son précepteur, il travaille avec assuidité. Sa vocation pour la carrière de marin s'étant précisée en même temps que sa santé s'était affermie, sa mère se décide à se séparer de lui et à l'envoyer à l'école des Jésuites, à Saint-Hélier (Jersey) pour y suivre les cours de préparation à l'Ecole Navale.

A la suite d'une brillante préparation, il est reçu à l'Ecole Navale à l'âge de 17 ans où il entre le 1er octobre 1899, 18e sur 100 admis. Il en sort le 1er août 1901, avec le n°11, aspirant de 2e classe et effectue une croisière comme tel à bord du navire école, le Duguay-Trouin.

Promu aspirant de 1ère classe, le 5 octobre 1902, il embarque sur le Montcalm, escadre d'Extrême-Orient, puis sur la canonnière Vigilante (même escadre).

Enseigne de vaisseau, le 5 octobre 1904, il rentre en France et est embarqué sur le Condé, escadre du Nord, le 1er octobre 1905, puis sur le Léon Gambetta en 1906 jusqu'en septembre 1907.

Il repart alors en Extrême-Orient, embarqué sur l'aviso-transport Manche, commandant Rageot de la Touche, en mission hydrographique, division navale d'Extrême-Orient, jusqu'en mars 1908. Détaché au service hydrographique à Paris, du 7 avril au 7 juillet 1908.

Il embarque, le 27 juillet 1908, comme second sur le contre-torpilleur Cognée de l'escadre de la Méditerranée, sous les ordres du commandant Ollivier, y reste jusqu'en juin 1910 et, à suite d'une demande, il entre aux sous-marins de Bizerte, le 7 août 1910, à bord de la Circé, commandant en second jusqu'au 12 décembre 1911.


Aux Dardanelles, 1er mai 1915.

Promu lieutenant de vaisseau le 26 décembre 1911, il reçoit le commandement du sous-marin Monge du 1er juillet 1912 jusqu'à la fin de 1914.

En congé de trois mois, l'ordre de mobilisation générale le rappela à Toulon. Il est alors adjoint, le 2 août 1914, au commandant du torpilleur de haute mer le Dehorter, à la tête d'une escadrille de sous-marins.

En novembre 1914, il reçoit le commandement du sous-marin Joule à Bizerte.

Jusqu'au début de mars 1915, Louis du Petit Thouars reste à Bizerte où il travaille avec acharnement à la mise en état de son sous-marin. Le travail effectué, il prend alors la mer et reçoit la mission de croiser en Adriatique pour surveiller et surprendre les mouvements de la flotte autrichienne devant Cataro où il se trouve à plusieurs reprises en situation difficile.

Lors de l'expédition des Dardanelles, il est appelé, le 15 avril 1915, à faire partie des forces navales sous les ordres de l'amiral Boué de Lapeyrère, et, le 28 avril, il reçoit l'ordre d'accomplir une mission périlleuse à l'intérieur des détroits : torpiller des transports turcs. Le Joule part le 1er mai pour ne plus revenir. Le 2 mai, un bâtiment anglais, l'Agamemnon envoyé à sa recherche, recueillait en surface un réservoir d'air comprimé ayant appartenu au sous-marin.

Tout semblait indiquer que celui-ci, ayant heurté une mine dérivante, avait été ouvert en deux par l'explosion, et enseveli avec tout son équipage.

Ainsi disparu à l'âge de 33 ans, entre Chanak et Nagara, Louis Aubert du Petit Thouars. Dans l'accomplissement de l'inexorable mission de combat qu'il avait reçu de ses chefs, il fit preuve d'une ardeur, d'une sérénité, d'une abnégation complète, apanage naturel des grandes âmes et des grands chefs.

Dans un geste d'admirable générosité et de profonde pitié pour ceux qu'il emmenait avec lui à une mort à peu près certaine, l'héroïque commandant, avant de partir, confiait à sa mère adorée en quelques lignes d'adieu la noble mission de remettre, aux familles de tous ceux qui le suivaient, une somme d'argent qu'il prélevait sur son propre patrimoine, léguée aux descendants des héros dont il était le chef sublime. Magnifique manifestation de solidarité du chef et des exécutants devant le sacrifice accepté pour la Patrie.


Ordre du jour de la première armée navale.

Le 21 mai 1915

Le contre-amiral, commandant de la division de complément, a rendu compte de la perte glorieuse du sous-marin Joule, coulé dans les détroits des Dardanelles, après avoir touché une mine au cours d'une tentative d'attaque contre des bâtiments ennemis dans les parages de Nagara.

Saluant la mémoire du lieutenant de vaisseau Aubert du Petit Thouars, commandant le Joule, et de tous les braves qui l'accompagnaient, le commandant en chef les porte à l'ordre du jour de l'armée.
Lieutenant de vaisseau Aubert du Petit Thouars de Saint-Georges (L.C.M.) commandant,
Enseigne de vaisseau Fortoul (G.L.), officier en second.
Suivent les noms des 29 hommes d'équipage du Joule.

Signé : Boué de Lapeyrère
à bord du Patrie, le 3 juin 1915
Croix de guerre. Chevalier de la Légion d'honneur.

Annexes

Les lettres de ceux qui l'ont approché en ces derniers moments, adressées à sa mère, sont un précieux témoignage de l'estime de ses chefs et de l'admiration de ses égaux.

Lettre du lieutenant de vaisseau Defforges

Ténédos, le 9 mai 1915

Madame,

J'ai le dernier serré la main de votre fils avant son départ pour cette fatale reconnaissance dont il ne devait pas revenir.

Ayant eu le bonheur de faire sa connaissance aux manoeuvres de 1914, je m'étais trouvé plus particulièrement lié avec lui depuis le commencement de notre commune existence dans l'Adriatique.

Le 15 avril, nous partions tous deux pour les Dardanelles. L'amiral qui l'aimait et l'appréciait par dessus tout autre l'avait particulièrement choisi pour cette campagne et m'avait fait le très grand honneur de joindre mon bâtiment au sien. Nous étions ainsi devenu frêres et depuis ce moment il n'était pas de jour où il ne me confiat ses espérances de quelques belles et utiles actions. Le 28 avril, l'amiral anglais nous confiait le soin d'une reconnaissance offensive dans les Dardanelles, entre Chanak et Nagara. Comme le plus ancien, je partais le lendemain et je le verrai toujours me disant avec son âme généreuse : " Que j'envie en ce moment votre ancienneté ! ".

Revenu de cette reconnaissance avec un bonheur immérité, je lui communiquai les renseignements que j'avais pu recueillir et, plein d'enthousiasme et d'ardeur, il m'embrassait au soir de son départ dans la nuit du 30 avril au 1er mai et me remettait la lettre que je prie ma chère mère de vous faire parvenir.

J'attendis en vain son retour, et des nouvelles de source ennemie nous apprirent qu'il était tombé glorieusement pour la France.

Je l'aimais et je l'admirais ; nous l'aimions tous d'une affectation profonde et l'admirions en secret pour son beau caractère chevaleresque, pour la noblesse de son âme et sa modestie malgré sa valeur reconnue de nous tous. Je vous demande très respectueusement de me permettre d'associer mon fraternel chagrin à votre immense douleur. Le nom de notre cher camarade et frère d'armes restera à jamais gravé dans nos coeur ; il sera synonyme de loyauté, de vaillance et d'héroïque sacrifice comme il le fut déjà dans les fastes d'un glorieux passé.

Lettre du commandant de Courtois (son cousin) à bord de la Poupée.

Dardanelles, le 24 juin 1915

Je me souviendrai toujours de cette soirée qui a précédé la montée du Joule. Louis avait accepté de partager notre dîner de la Poupée et il avait été aussi en train, aussi enthousiaste, aussi brillant que possible. Après le repas, nous avions discuté l'opération envisagée et, carte à la main, nous avions pesé le pour et le contre : Louis m'a dit très nettement cette phrase qui m'a frappé : " Si je pars, j'irai jusqu'au bout, quoi qu'il arrive, et je ne resterai pas vivant aux mains des Turcs ". Et il était aussi calme, aussi résolu que s'il s'était agi d'un exercice, à tel point que mon second, un vieux réserviste pirate, qui s'y connaît en hommes, a fait cette réflexion : " Cet officier est quelqu'un, et si l'on doit réussir c'est lui qui réussira ! ".

Vous connaissiez certainement la valeur professionnelle, les qualités morales, le beau caractère de Louis. Au point de vue professionnel, il avait une réputation méritée de travailleur, de sens marin, de chef ; tout le monde lui rendait justice, ses supérieurs, ses camarades, ses inférieurs qui le considéraient comme le meilleur commandant de sous-marin : pour ma part, je l'appréciais d'une manière toute spéciale, car il adorait son métier et possèdait le feu sacré. Comme marin, en un mot, il était l'espoir de la marine !

On peut dire que dans sa promotion et dans le corps des officiers le même sentiment régnait, affection et admiration, sans une voix dissonnante ; c'est à mon avis le plus bel éloge à faire de lui.

Enfin sous le rapport du caractère, c'était la droiture même, l'honneur incarné, l'indifférence la plus complète pour les vanités du métier ; je lui ai reproché bien souvent sa modestie, mais je n'ai jamais pu le faire départir de sa réserve.

Louis sera une des plus belles et nobles victimes de cette guerre terrible ; et si votre douleur peut se consoler, elle trouvera des consolations dans les souvenirs, les regrets, les éloges unanimes, l'affectation, l'admiration de tous pour ce modèle des officiers.

Lettre du lieutenant de vaisseau Devin, commandant le sous-marin Ampère

Brindisi, le 24 mai 1916

J'ai reçu avec émotion la photographie de votre admirable et bien-aimé fils, je l'ai placé à bord de mon sous-marin au dessus de ma couchette. Elle est à côté de deux autres photographie, les trois seules qui soient dans ma chambre ; l'une est celle de mon frère aîné, tué glorieusement sur son avion au-delà du Rhin, et l'autre de mon ami Morillot qui fut l'ami, l'élève passionné de votre fils, son successeur sur le Monge et un héros que nous vénérons.

Les larmes me sont venues aux yeux en revoyant si vivante le physionomie de l'ami que j'aimais tant.

Les hommes, qui aimaient votre fils avec ce sens instinctif de nos marins pour celui qu'ils sentent de la race des grands chefs, sont venus dans ma chambre voir sa photographie et j'ai compris que leurs pensées s'étaient jointes à la mienne vers celui qui était notre modèle. Car vous ne sauriez croire la popularité ou plutôt l'admiration que nos équipages avaient pour votre fils. Quand on annonçait que son sous-marin rentrait, on montait le voir accoster.

Je le revois encore sur sa passerelle, revenant d'une dure traversée et accostant mon sous-marin à Navarin, je le revois sous ses vêtements de mer qui n'enlevaient rien à sa sveltesse et à sa distinction, je revois ses yeux limpides et bons, j'entends sa voix claire et vibrante. Ah ! qu'il était accompli ! Comme nous envions tous cet ensemble parfait qui le mettait tellement au-dessus de nous !

Sa mémoire chez tous ceux qui l'ont approché ne périra pas et sera pieusement gardée !

Le temps qui efface tant de souvenirs ne pourrait qu'embellir celui que nous conservons de lui, s'il restait à l'amitié ou à la vénération quelques traits qui n'aient été tracés par sa propre vie.

(Net-Marine 2006 ; Source : Suite de la descendance des Aubert Du Petit Thouars de Saint Georges, Récits biographiques par le Comte du Petit Thouars, Saumur imprimerie Girouard & Richou 1934 ; Mes plus vifs remerciements à Mme Françoise Du Petit Thouars pour la documentation et l'iconographie)


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