Histoire de la BAN Saint-Mandrier (1944-1950)

Le secrétaire d'état aux forces Armées remet la Croix de guerre avec Etoile de Vermeil au maire de Saint-Mandrier (1951)

La seconde guerre mondiale vient de s'achever. Le secrétaire d'état aux forces Armées (Guerre) cite à l'ordre du Corps Armée la Commune de Saint-Mandrier : "Située à la pointe extrême du camp retranché de Toulon, dont la grosse majorité de la population a été, dès les premiers jours, acquise à la Résistance. Centre très actif qui a fourni au commandement allié des renseignements précieux sur la défense ennemie. Evacué en novembre 43 par représailles, le village, qui a subi jusqu'à la libération de nombreux bombardements, a eu 70% de ses immeubles dévastés ainsi que ses terrains et cultures. Village martyr, a payé un lourd tribut à la cause de la liberté. Cette citation comporte l'attribution de la Croix de guerre avec Etoile de Vermeil. Décision n° 26 du 11 mai 1951". Signé Max Lejeune.

Septembre 1944
Dans la matinée du 3 septembre 1944, une embarcation transporte les premiers qui retournent sur la base. Les bombardements qui ont plu, bien drus et lourds sur la presqu'île pour anéantir les batteries de Cépet tenues par les allemands, ont laissé des creux partout, dans la terre et les toits (près de 800 tonnes de bombes et 8700 projectiles en août). Quinze hommes viennent, sous le commandement ducapitaine de corvette Jacques Hourdin et de l'IM1 Milot. Les premières journées sont occupées aux désamorçage et les hommes deviennent démineurs dans l'eau et sur terre. On mange à la popote de la défense du littoral. On ancre, au fond du plan d'eau des bouées d'amarrage pour hydravions, car une escadrille doit vite s'y implanter, la 2S. Elle est en Afrique du Nord, à Arzew, trop loin de l'action. Beaucoup de tâches urgentes l'attendent sur nos côtes : rechercher les mines et les faire sauter, elles aussi, pièges dangereux qui font hésiter les bâtiments à s'approcher trop près et empêchent, pour l'instant, les hydravions de se poser. Le personnel de la base augmente : à la mi-octobre, 4 officiers, 8 officiers-mariniers et 51 QMM sont là. Le logement précaire du personnel de la base et des 60 hommes de la 2S est assuré.


Le Breguet-Bizerte sur le terre-plein. En premier plan les tas de sable et de gravier pour la réparation du garage. Derrière à gauche, l'ancienne grue de 15 tonnes.

Le 1er novembre 44, la 2S est officiellement affectée à Saint-Mandrier avec 14 Latécoère 298, venant d'Arzew. Entrée en guerre en janvier 1943, elle totalisait au 1er avril 1944, 1488 missions de guerre, 3363 heures de vol, un sous-marin endommagé homologué. Cette escadrille assura à elle seule la tâche de protéger les convois qui, venant de Gibraltar, longeait la côte algérienne. Le commandement régional, généreux, demande en sus pour Saint-Mandrier, 39 personnels féminins (SFF). Le carré des officiers demeure inhabitable. On cherche partout des rechanges d'avions dans les décombres. Le déminage du Creux Saint-George vient de débuter. Il faut enfin des voitures. L'aéronautique régionale achète les occasions des particuliers. Quant aux cars, n'en parlons pas… Il existe un seul car de 25 places à Cuers pour toute l'aéronautique navale sud, mais, lui aussi, sans pneus ni chambres à air. On comprend la fureur du commandant de Cuers quand les prisonniers de guerre italiens voleront les quelques pneus qu'il détient pour en faire des lanières de sommiers…

Le 25 novembre, la 9FTR (transport) est à Saint-Mandrier. Le 1er janvier 1945, la base compte maintenant le personnel suivant : 10 officiers, 27 officiers-mariniers, 98 QMM, la 25, 7 officiers, 47 OM, 59 QMM, et la 9FTR, toute neuve, 4 officiers, 12 OM et 17 QMM. Il n'y a toujours pas d'eau, le déminage terrestre est en cours dans la colline, quant à l'alimentation… Le rationnement est très sévère et difficile. Il y a deux formations, la 2S et la 9FTR.


Le commandement régional, généreux, demande en sus pour Saint-Mandrier, 39 personnels féminins (SFF).

L'escadrille 9FTR vient d'être créée le 1er décembre 1944 (ordre n° A85 EMG/Aéro du 14/11/44). Elle est à l'état de graine et se compose, pour l'instant, du Latécoère 611 Achenar (Cdt. D'aér. OE Larmigny) et du Breguet-Bizerte n°4 trouvé à Candelec. Son commandant est le CC Pierret (ex. 6FE), appelé familièrement "coco" par ses hommes. Il n'est pas là, mais à Sartrouville où une usine construisait pour les allemands des Dormier 24. Une quarantaine des ces aéronefs sont là, à différents stades de finition, prévus pour la Luftwaffe et qui vont être à l'aéronautique navale. La 9FTR reçoit pour mission d'assurer les transports entre Paris et l'AFN. Voici, écrites de Sartrouville, les réflexions lointaines de son commandement : "Les Do24 sortent lentement et progressivement d'usine. 2 Do seront achevés et prés le 19 ou le 22 Décembre 1944. Un Do serait prés début janvier et un autre fin janvier. Deux Do sortiront en février et trois en mars".
L'installation de la 2S à Saint Mandrier a été assez difficile compte-tenue de l'état de la BAN et du manque de moyens. Le personnel a été d'abord employé à remettre en état les casernes, poste et appentis. Les premiers vols n'ont eu lieu qu'en novembre 1944. Ils sont essentiellement consacrés à des recherches de mines. Dans un premier temps, au milieu des ruines de Berre, parmi les hydravions écrasés (dont le LV Paris), se trouve un Breguet 730 à peu près indemne. La société Breguet le remet en état de marche qu'on lui fournisse de l'essence, de l'huile et du courant électrique. Ce Breguet 730 viendra plus tard à Saint-Mandrier et à la 9FTR : ce sera le Véga.


Un des premiers DO24. Il appartient encore à la 9FTR (1945).

1945
1er janvier 1945 : la BAN Saint-Mandrier redevient une unité administrative sous le commandement ducapitaine de corvette Gaston Videau. L'austérité est encore la règle générale. L'équipage dispose de 8 chambrées à 40 hamacs chacun. Ils sont les mieux lotis. La grue de 200 sthènes n'est pas posée. Quant à la grue de 15t, elle ne peut servir qu'aux Latécoère et aux embarcations ; elle est insuffisante pour la 9FTR (les premiers Dornier sont là, trop lourds pour elle). La tenue en état de vol des appareils est artisanale. Les pièces de rechange de Latécoère sont réparties en AFN et dans toute la France, excepté Saint-Mandrier. Pour les appareils de la 9FTR, on se demande tout simplement si des rechanges existent… Un énorme tas de colis de la Croix-Rouge, destinés aux prisonniers, est entreposé dans le hangar à captifs. Il faut les surveiller par factionnaires, mais la faim est là, et des colis arrivent à disparaître, car le rationnement est toujours sévère. On continue encore de mendier des rations américaines pour le personnel des escadrilles. 500 personnes sont maintenant à la base, dont 150 volants (au 24/01/45).

Il n'est pas étonnant que la 9FTR éprouve aussi quelques difficultés. Les livraisons de DO ont pris du retard. Tout le 1er trimestre 45 est uniquement consacré à des vols de mise au point de ses Dorniers. Mais, en avril, elle aligne 8 DO sur le plan d'eau. Ses problèmes ne sont pas pour autant résolus. Quelques liaisons régulières ont pu être réalisés, mais il n'y a pas d'appareils disponibles pour l'entraînement. En mars 1945, la 9FTR inaugure par DO le voyage Saint Mandrier- Dakar, via Arzew, Port-Lyautey, et Port-Etienne à la vitesse moyenne admirable de 135 nœuds. De son côté, la 2S, malgré ses difficultés matérielles, a envoyé un fort détachement sur les côtes atlantiques où elle participe à des opérations de réduction des poches allemandes (opération Vénérable Jupiter Assault) et capture des chalutiers armés. Elle est au complet à Saint-Mandrier le 24 mars 1945. En fin juin, elle repart pour Hourtin où elle cherche encore des mines dans l'estuaire de la Gironde sous les ordres du contre-amiral, commandant la Marine à Bordeaux. Comme au cours des missions sur les côtes de Méditerranée, les recherches se font à vue, les équipages guettent les mines en surface ou les tâches rondes sous l'eau quand le calme de la mer le permet. Les mines repérées sont détruites à la grenade, car il ne faut pas utiliser les mitrailleuses pour éviter à l'avion le danger de passer dans la gerbe d'explosion. L'affectation définitive de la 2S à Hourtin est décidée pendant cette mission (1375 EMG/aéro/1 du 11.6.45). La 2S sera dissoute à l'été 1946.


Le Latécoère 611 Achenar.

Deux formations viennent prendre sa place. La 3S est formée à Saint-Mandrier le 13 mai 1945 sur Latécoère 298. Sa préparation terminée, elle rejoint la BAN d'Immenstaad (base Z), près de Friedrich-Shaffen. La base Z sera dissoute le 1er septembre 1946. Zigzag, la 4S, est depuis quelque temps arrivée de Cuers avec ses Walrus et s'est transformée sur DO 24. Elle opère de concert avec la 2S, avec 5 appareils, au début. Cette formation quittera aussi la base pour Karouba, le 17 décembre 45 avec 12 DO. Elle deviendra la 9F. Le 26 avril 1945, on sort des locaux pour voir se poser le premier Breguet 730, le Véga, sauvé de l'écroulement des hangars de Berre . Les essais ont été conduits par le LV Thabaud, et le grand hydravion remis entre les mains du LV Daubian-Deliste, premier commandant. Il vient renforcer la 9 FTR.

L'été 1945 est, enfin, arrivé. Malgré le grand beau temps et le calme de la rade, le plan d'eau est souvent interdit pour obstructions flottantes, car, en face, on jette beaucoup de choses à la mer pour la grande lessive de l'été. De nombreux emballages de munitions, des flotteurs, des planches… dérivent lentement et rendent l'envol impossible. On va donc à la pêche des ces objets. En fin de cet été, sont annoncés 50 travailleurs indochinois pour la base. Ils se feront vite remarquer, non par leur physique mais par leur attitude politique anti-française, alors que nous sommes engagés dans le conflit indochinois. Ils seront renvoyés le 13 mars 1946 par suite de leur fréquent refus de travailler. Ils furent utilisés à toutes les tâches ordinaires de la BAN. Il y a aussi des prisonniers de guerre allemands, employés, bien sûr, aux travaux de réfection de la base. L'année s 'achève sur une tragédie aérienne. Dans l'hiver de 1945, un DO de la 9 FTR décolle par un ciel bas de vent d'est, contourne la presqu'île pour prendre la route du sud, vers l'AFN, et, à basse altitude, pris probablement dans les rabattants, s'écrase à la mer près des Deux-Frères avec l'équipage et 15 élèves mécaniciens (pilote LV Beneyton et MT Hamon). 2 élèves en réchappent. L'un d'eux n'a plus retrouvé sa raison.


Un DO de la 30S.

1946
1er janvier 1946. Toutes les escadrilles ont quitté Saint-Mandrier sauf la 9 FTR qui, pour marquer cet anniversaire, change ce jour-là de nom et devient 30S sous le commandement du LV Venot. Le personnel a diminué avec le départ des formations. L'effectif réel est alors : BAN : 10 officiers, 40 officiers-mariniers, 97 quartiers-maîtres et matelots, 40 civils; 30S : 17 officiers, 80 OM, 65 QMM. La base est loin d'être en état. Elle a transformé l'ancien logement de nos artilleurs de côte : le foyer de la Carraque est inauguré au début de 1946. Cette création a un impact très important sur le moral de l'équipage. La salle de cinéma a été aussi construite à cette époque.
L'essence est toujours rarissime. Cette même pénurie d'essence touche, bien sûr, les aéronefs. Les vols en 1946, seront arrêtés, fin septembre, faute de carburant : pourtant les vols ne sont pas nombreux, la disponibilité non plus : 2 DO sur 8 à la 30S. Les ST travaillent, mais les rechanges restent rares : les avions réparés ne sont pas obligatoirement pour la base : ils vont à Aspretto (20S), bien pauvre en matériel et à Karouba pour la nouvelle 9F. Car la 20S vient d'être créée, le 15 avril 1946, avec pour commandant le LV Colardelle puis le LV Langlois. Pauvre 20S Samar… Ses Dorniers sont fournis par Saint-Mandrier. Le premier est arrivé le 24 mai, le second le 8 juin, en état défectueux. Elle dispose de 2 équipages et d'aucun rechange. En six mois, l'Achernar de la 30S (OPE Larmigny puis LV Guesdon) n'a pu effectuer qu'une liaison Madagascar, et une sur Port-Lyautet. Il convient de faire un choix entre le transport (SLAM) et le SAR que la 30S assure depuis le départ de la 4S . Par ordre d'Aéro Sud de mai 1946 à la 30S : "les missions de sauvetage priment le transport. Prenez vos dispositions pour avoir tous les jours un appareil disponible à 1h15 pour alerte SAMAR. En cas de besoin, faite travailler le personnel d'entretien de la 30S le samedi et le dimanche. "


Le Breguet 730 01 Véga avec les marques alliés sur le plan d'eau de Saint-Mandrier.

Saint-Mandrier ne peut se suffire d'une seule escadrille : La 33S, destinée aux grandes liaisons coloniales, est créée le 1er juillet 1946 (4 mai 1946 - 1329 EMG/M/Aéro/1). Elle n'a, malheureusement, pas beaucoup d'appareils, le Latécoère 611 Achernar (LV Guesdon de Dives), le Breguet 730 01 Véga (LV Audibert, qui fut tué en Indochine), et le Breguet 730 n°1 Sirius (LV d'Hautuille). Elle recevra, au fur et à mesure de leur mise en service les BR 731 n°1 et 2 (Bellatrix et Altaïr). Donc, deux formations à la base, la 30S qui n'a plus que des DO 24 avec pour missions principales le SAMAR (OALI) et le transport à courte distance, et la 33S pour les transports vers les lointains ensoleillés. Il n'y aura plus d'autres formations affectées à Saint-Mandrier pendant plusieurs années.

Par contre, une section de vedettes de sauvetage a été constituée, la 31ème section de Vedettes SAMAR. Cette section se compose de 2 vedettes rapides de sauvetage anglaises que le Maître Principal Joubert, premier commandant, et quelques hommes sont allés chercher le 6 février 1946 en Angleterre, à Ramsgate. Elle est organiquement, attachée à la 30S. Après révisions de ces bâtiments, cette section prend officiellement son service le 10 octobre 1946. Deux semaines auparavant, elles ont travaillé avec une équipe de recherche sous-marine (CC Taillez et LV Cousteau) en repérage du Glenn-Martin n°213 coulé en baie de la Garonne par 42 mètres de fond. Ces vedettes de ce type sauvèrent près de 13 000 personnes pendant la guerre. Longues de 20 mètres, leur vitesse maximum est de 38 nœuds.


Une section de vedettes de sauvetage a été constituée, la 31ème section de Vedettes SAMAR. Cette section se compose de 2 vedettes rapides de sauvetage anglaises.

En novembre 46, le Sirius part aux Antilles pour une mission hydrographique. Avant d'entrer dans l'hiver 46, les difficultés de tous ordres subsistent. Le déficit en personnel s'est accru : après le départ des Indochinois et des prisonniers de guerre allemands (il en restera 8 jusqu'à juin 48), partent les cadres mobilisés pour la guerre. La situation en officiers atteint un minimum pénible. Le travail ne manque pas, avec la mise en état des Dorniers pour la 30S, 20S et la 9F. Saint-Mandrier reçoit près de 40 embarcations récupérées, avec ordre de les remettre en état : en attendant de pouvoir entreprendre les réparations, car l'on manque aussi de charpentiers, de bois, et de mécaniciens, on tapisse le hangar à captifs de ces petits bâtiments de tous types. Sur le plan d'eau, 5 vedettes SAMAR/ex RAF, bien rangées, attendent d'être révisées, tandis qu'arrivent des petits remorqueurs de 45 Tx aux noms de fleurs : Bleuet, Lys, Chrysanthème, Pavot, etc.… Un réservoir à carburant de 60.000 litres, récupéré à Berre, semble-t-il, est en place, mais non branché, faute de tuyauteries.

L'adduction d'eau de la base n'est pas achevée. Le nombre total de passagers transportés atteint le record de 900 personnes en trois trimestres ! De son côté, la 31ème section assure… comme un escorteur, la sauvegarde des porte-avions du groupe des porte-avions récemment crée, avec le Dixmude et le Colossus (plus tard Arromanches). Elle récupère un pilote (les hélicoptères ne sont pas encore là !). Le LV Brossier, commandant la 33S, est moins satisfait. " Toute liaison lointaine est soumise à un facteur chance considérable. Les moteurs en sont la seule cause. Le Gnôme Rhône 14N ne fait pas en moyenne 100h de vol. En 800h, l'Achernar a changé 34 fois de moteurs. Ce serait une utopie de compter sur la 33S pour assurer nos liaisons coloniales, Antilles, Madagascar, Indochine, à une cadence honorable". De son côté, le LV Venot, commandant la 30S, n'arrive pas à dépasser ordinairement le chiffre de 200 disponibles sur 8. Il en a perdu un à Aspretto, accidenté et coulé le 3 octobre 1946, d'autres ont eu des incidents de matériel, comme une explosion à bord due aux vapeurs d'essence, en mars 46 (DO n°8), les passagers n'ont eu que peur.

1947
La guerre n'est pas finie. Elle continue en Indochine et draine finances, matériel, essence et personnel de l'aéronautique. La Métropole en souffre et, l'aéronautique navale métropolitaine aussi. Cette situation provoque des remous d'opinion. Saint-Mandrier est, pendant quelques temps, dépouillé de tous ses fusiliers et forme un détachement sous les ordres du LV d'Hautuille, commandant le Sirius, pour aider à ramener le calme dans l'arsenal en ébullition. Il se creuse, malheureusement, un fossé entre militaires et civils qui marque profondément le moral de la base. Elle continue quand même, révise quelques Loire 130 en partance pour l'Indochine, pendant que le plan d'armement en matériel de la 30S commence à fléchir : 6 DO maintenant, d'un entretien toujours impossible, et qui prennent une apparence d'épaves. L'enthousiasme du renouveau, de la reconstruction commune de l'après-guerre, fait place maintenant, devant les événements à une certaine amertume, voire de l'irritation. Les DO 24 sortant du Mourillon sont-ils sabotés ? Ou est-ce une incapacité du personnel ? La moyenne mensuelle des heures de vol des escadrilles, déjà faible, est maintenant limitée, non par l'essence, mais par le matériel : 70h par mois. Le commandant de la 30S va quitter son escadrille, désigné pour l'ERC (19.5.47). Son second, le LV Sauzay, est nommé commandant à titre provisoire, aidé par le LV Pierlot et l'OE Jegon. Le LV Le Saint en prend le commandement définitif le 23 septembre 1947, après un stage sur DO 24 à la 53S. La situation est-elle vraiment catastrophique ? Non, par rapport aux autres, semble-t-il. Le rapport d'inspection générale du Préfet Maritime du 18 octobre 1947 parle, certes, de baisse considérable de l'activité des escadrilles terrestres, 3S en particulier, mais d'une situation satisfaisante de l'hydraviation en général. Le 12 juillet, est réunie, sous la présidence ducapitaine de corvette Raymond Dalle, commandant la base, une commission technique locale pour l'Achernar. " La commission constate un mauvais état général. "

L'Achernar est condamné en septembre 1947 et finira, en février 1948, sur la terre du parc à ferrailles. Pauvre Achernar, qui était seul de son genre, et meilleur que les Breguets 730 et 731. Il mérite, sans doute, une homélie posthume. " Destiné à remplacer les Breguet-Bizerte, il fut construit par la société Latécoère, monté à Biscarosse, et fit ses premiers essais en mars 1939. Il décolla pour la première fois le 1.7.39. Il fut le premier d'une série de dix, en version Pratt et Whitney (Latécoère 612) qui ne fut pas réalisée. Baptisé par l'Aéronautique Navale d'un nom céleste, Achernar, le 12.4.40, il ne put être prêt pour être affecté à temps à une formation de combat. Il fut à Port-Lyautet le 29.7.40, abîmé par une collision à flot avec un autre hydravion, mais put revenir à Berre par la voie des airs, après accord laborieux des commissions d'Armistice. Réparé, il partit à Djibouti en mai 41, et, à nouveau endommagé à l'amerrissage (LV Husson) car ses flotteurs rétractables ne voulurent pas sortir. Revenu, et, une nouvelle fois réparé à Berre, il rejoignit Dakar et patrouilla l'Atlantique sud sous l'insigne de la 4E (croix du sud), devenue plus tard 7F, en compagnie des Sunderland. Affecté ensuite à la 9 FTR devenue 30S à Saint-Mandrier, il y finit ses jours. Il avait effectué 1.600h de vol. Long de 27m, lourd de 29t à charge maximale, son rayon d'action était de 4.350 km à 100 nd. Son destin ne fut pas à la hauteur de ses mérites ".

La 33S est en état de grande maigreur dans cet hiver 47. " La condamnation de l'Achernar, la révision du Véga, la lenteur de sortie des BR 731 conduisent la 33S à être armée à un appareil à partir de février jusqu'à une date indéterminée. " (LV Brossier 23.12.47). Jusqu'alors, les liaisons sur Dakar ont été effectuées avec régularité par les seuls Véga et Sirius.


Un SNJ en 1948.

1948
Le premier semestre 48 est bien mauvais pour les formations. La mission SLAM de la 30S est supprimée. L'escadrille devrait donc être disponible pour toutes les autres missions, en particulier le SAMAR. Le manque de rechanges limite toujours son activité malgré ses 6 Dorniers affectés. La 33S est dans l'indisponibilité quasi totale des appareils. Le Sirius, en route sur Dakar, perd une hélice et se pose à Port-Etienne : il rallie Saint-Mandrier et devient inapte aux liaisons. Le Bellatrix fonctionne correctement mais ses 4 moteurs sont à limite de potentiel : aucun moteur de rechange n'existe. Pour clore ce semestre peu aéronautique, tous les DO sont interdits de vol en juin, à cause de leurs moteurs Bramo. La 31ème section, dans son rôle de coopération SAMAR, devient inutile. Le 11 juin 1948, le MP Yobé prend le commandement de la 31ème section de vedettes.
Le CC Dalle quitte le commandement de la base le 23 septembre 1948. Durant son commandement, la 30S et la 31ème section ont effectué 16 sauvetages, le plus réussi ayant été le secours aux 5 membres d'équipage d'un Wellington écrasé en mer le 21 juillet. Lecapitaine de frégate François Veyre de Soras prend le commandement de la BAN. Dotée de 6, puis 4, puis de 2 DO, la 30S n'est plus que l'ombre d'elle-même. A l'automne 48, l'EV Dalmas prend le commandement de l'escadrille réduite à 2 appareils et 2 équipages qui doivent assurer le SAR en permanence. Quant à la 33S, sa situation est simple : tous les appareils sont indisponibles. L'ex-commandant de la 30S, le LV Le Saint, dirige maintenant la 33S.
Un événement aérien aura quand même marqué cette médiocre année 48. La BAN a déstocké des SNJ, et le terre-plein aura, pour la première fois, servi de piste d'envol. Ce fut un exploit pour l'époque. On attendit que le vent vienne de l'Est, mais sans pluie, avec un ciel dégagé. Au bout d'une semaine, les augures furent favorables et le personnel put assister à cette grande première derrière les fenêtres et par les fentes des protes de hangars que l'on avait fermées. On ne sait jamais ! Les SNJ atterrirent à Hyères.


Une Sunderland de la 7F.

1949
L'année 1949 débute dans le deuil. Le 7 janvier 1949, le Véga (CA LV Labit) est détruit à Arzew. Il sortait de révision générale. Dans le mauvais temps, un des moteurs tombe en avarie. Le chef de bord décide d'amerrir à Arzew, mais la météo est transmise avec une erreur entre la vitesse en nœuds du vent (7 à 8 nœuds) et l'échelle Beaufort (7 à 8). Le ciel est très bas, et il est trop tard pour annuler l'amerrissage par houle défavorable. L'accident fait plusieurs morts : l'un d'entre eux est enterré au cimetière de Saint-Mandrier, l'EV Driout, navigateur qui, de la 3S, avait été mis en corvée à la 33S. Le mauvais temps sévit aussi à Saint-Mandrier et gêne les formations 7F et 9F (Sunderland et DO), stationnées à Saint-Mandrier pour un stage GASM (ancienne dénomination du CEF).
Un remorqueur, le Lys, coule à quai. Le printemps revigore la 33S. Elle dispose de l'Altaïr et du Bellatrix, avec, en tout, deux équipages. La 30S reste toujours aussi démunie : peu d'avions, pas de moteurs ; elle effectue environ 40h/mois. Le déficit en personnel militaire de la base est toujours aussi élevé. L'année 1949 se termine sur un autre accident. Le 3 novembre, le Sunderland 7F2 de Dakar, capote au décollage de Saint-Mandrier en vol d'essai : 3 morts, 1 disparu, 6 blessés graves, 1 blessé léger, 4 indemnes. L'épave est découpée sur place.

1950
Deux escadrilles mettent en commun leurs dernières ressources : la 20S a quitté Aspretto pour Saint-Mandrier et fusionne avec la 30S. Cette union améliore singulièrement l'efficacité du service SAMAR. La preuve en est vite apportée : en deux jours, 34h de vol sont effectuées par la nouvelle 30S en recherche du cargo Ste Anne. La 33S, de son côté, dispose du seul Bellatrix. Fort heureusement, il fonctionne très bien. L'Altaïr arrive à Pâques à la 33S et effectue deux voyages sur Smyrne et Athènes. De nombreux visiteurs viennent à bord. La 31ème section SAMAR change de commandant. Le 21 juin 1950, le PM Timonier Borhem remplace le M/Pal Yobé. Les vedettes sont très fatiguées et l'atelier bois de la base a fort à faire pour leurs coques qui prennent l'eau, même par les ponts. Le 6 août, lecapitaine corvette de Marcel Lemercier prend la commandement de la base. Le déficit en personnel est toujours important.
Au cours du second trimestre, l'Etat-major prend un arrêt de mort à l 'encontre des DO 24 : il n'y aura plus de révision générale, les aéronefs seront condamnés à l'échéance de leur potentiel restant : un dernier souffle de vie. Est-ce pour cela que l'activité des Dorniers s'écroule ? La disponibilité accuse une chute brutale.
Le 28 novembre, le LV Le Berre prend le commandement d'une 30S agonisante, presque grabataire. La 33S a aussi changé de commandant : le LV Le Saint a donné la suite à son second, le LV Pierlot le 3 août 1950, avec deux hydravions, l'Altaïr et le Sirius en cours de mise au point. 1950 ne finit pas dans la bonne humeur. En novembre, le commando de Penfentenyo est rapidement mis en place à Saint-Mandrier, car il y a de la tension dans la santé française et dans la région.

(Sources : Carnets de marche de la BAN St Mandrier, texte du CF Queinnec, photos BAN St Mandrier, Jean-Michel Roche © Netmarine 2002)

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